Le Zeppelin : « a stairway to hell! »
LE ZEPPELIN : « A STAIRWAY TO HELL! »
Une nouvelle de mon livre, « des poppies et des larmes »
En août 1914, la Grande Bretagne ne dispose que de quatre dirigeables : un modèle français, un Astra-Torrès, un Parseval acheté aux Allemands, et deux de fabrication britannique, un type Alpha et un type Béta. L’Allemagne de Guillaume II est convaincue de pouvoir s’imposer avec ses Zeppelins de construction innovante, robuste, et de qualité très supérieure à celle des pays ennemis. L’État-major du Kaiser mise sur ces machines, redoutables par leur rapidité et leur rayon d’action pratiquement infini. Ces ballons, dotés de structures rigides en aluminium, de conception exceptionnelle, sont supérieurs en nombre. L’Allemagne est certaine de pouvoir écraser les forces aériennes alliées au sol et sur mers. Le 1er août 1914, elle dispose d’une flotte colossale de douze mastodontes militaires, dont neuf Zeppelins géants à structures rigides. Ceux de l’armée portent un LZ (Luftschiff Zeppelin) suivi d’un numéro, et ceux de la marine impériale, un L (Luftschiff) suivi d’un numéro. Ces engins vont semer la terreur partout sur le théâtre de la guerre, et saper le moral des populations civiles. L’impact psychologique est énorme, et suscite bien des questions aux Etats-Majors alliés. Les performances aéronautiques des avions de l’époque sont très inférieures à celles de ces dirigeables, qui évoluent à des milliers de mètres d’altitude. Ils se déplacent aussi vite (80 km/h en 1914), ont une plus grande charge utile de bombes (9 tonnes en 1914), une autonomie, une résistance et un armement très supérieurs. Ce qui rend toute interception quasi impossible ; aucun aéroplane, à cette époque, ne peut voler aussi haut. Les Alliés vont devoir attendre et trouver rapidement des solutions ; le temps presse !
Le 19 janvier 1915, le premier bombardement a lieu de nuit, sur la côte anglaise. Une flottille de Zeppelins de la marine impériale bombarde Great-Yarmouth, dans le Norfolk.
Nuit du 31 mai au 1er juin, 1er bombardement de Londres par le LZ 37.
Le LZ 38 ne parvient pas à jeter ses bombes et sera forcé de faire demi-tour.
Nuit du 17 au 18 août, raid de quatre zeppelins de la marine sur la capitale : les L10, L11, L13, L14.
Seul le L10 atteint la ville, les trois autres ne trouvent pas leur cible et rebroussent chemin.
Dans la nuit du 7 au 8 septembre, raid de trois dirigeables.
Le LZ 74 et le SL 2 larguent leurs bombes sur Londres. Le LZ 77 n’atteint pas son objectif.
Dans la nuit du 8 au 9 septembre a lieu le bombardement le plus dévastateur causé par le zeppelin L13.
Les L14 et L9 ne trouvent pas Londres.
BATAILLE DE LOOS-EN-GOHELLE
Du 25 septembre au 19 octobre 1915
Private Leefe Fergusson, West Yorkshire regiment.
Automne 1915, Loos-en-Gohelle.
Je m’appelle Leefe Fergusson, et j’ai vingt-deux ans. Les combats du printemps sur Notre-Dame-de-Lorette avaient mis à mal notre moral. Je n’aurais jamais pensé que l’être humain pût se rendre coupable de telles horreurs. Nous venions de subir un véritable enfer, et bon nombre de mes copains avaient disparu dans la fournaise. J’ai vu des régiments entiers se faire hacher par la mitraille et les éclats d’obus. Des offensives ininterrompues avaient semé la mort sans compter, et les Flandres étaient devenues pour nous synonymes de cauchemar.
Le front connaissait depuis une certaine accalmie. L’été avait été relativement calme, aucun assaut d’envergure n’avait été tenté de part et d’autre. Cependant, chaque jour des centaines d’hommes continuaient de tomber, foudroyés par les tirs sporadiques des artilleries belligérantes. Les fantassins des deux camps offraient de belles cibles aux tireurs d’élite.
Notre théâtre d’opérations s’étendait sur le bassin minier de Loos-Hulluch, situé en contrebas sur la plaine de Gohelle. La bataille qui se préparait avait déjà été baptisée de « Big Push », et j’en avais froid dans le dos rien que d’entendre prononcer son nom.
Nous avions appris, tous à nos dépends, que Douglas Haig n’était pas connu pour être économe de la vie de ses hommes. Nous savions à quoi nous attendre, il y aurait des morts ; beaucoup de morts…
Imaginez-vous une plaine boueuse, détrempée par les pluies diluviennes du printemps, où les seuls sommets émergeants sont des extractions de déchets miniers. Ces crassiers, recouverts par un amoncellement de scories et de détritus, laissaient pointer les terrils comme des champignons grisâtres. Cet amalgame de minerai de fer dissimulait une terre noirâtre gorgée de sang et de cadavres en décomposition. Les mots ne peuvent dépeindre l’indicible horreur. L’odeur qui se dégageait de ce charnier nous extirpait du fin fond de l’abîme pour nous confronter à la terrible réalité du quotidien. Miraculeusement, quelques coquelicots parvenaient à percer la croûte sombre de cette terre de Flandres. Leurs corolles, aux pétales rouge sang, éclaboussaient notre regard émerveillé. Les petits poppies avaient revêtu pour la circonstance leurs habits de lumière. Leur parade rayonnante nous rappelait au miracle de la vie ; elle reprenait ici tous ses droits.
1 – Une casquette à rabat, modèle 1915. 2 – Une casquette, modèle 1905/1915. 3 – Un casque, type Brodie, du War Office. 4 – Une vareuse, modèle 1902. 5 – Un équipement en cuir avec deux sortes de cartouchières. 6 – Un havresac et une musette, modèle 1908/1915. 7 – Une pochette de cagoule. 8 – Une paire de cisailles, dans son étui en cuir. 9 – Une grenade Mills MKI n°5. 10 – Une gamelle d’infanterie. 11 – Un paquet de pansements. 12 – Un couteau réglementaire. 13 – Une baïonnette 1907 transformée. 14 – Un fusil Lee-Enfield Mark III, avec modification de 1916 en calibre 303. 15 – Une paire de chaussures. 16 – Une paire de bandes molletières. 17 – Un manuel de Français.
21 septembre1915.
Début du bombardement. Durant quatre jours, 250 000 obus s’abattent en continu sur les lignes allemandes.
25 septembre 1915.
Les Allemands, tout d’abord déstabilisés, auront des pertes moindres ; on dénombrera 600 hommes gazés. La surprise passée, 75 000 Britanniques s’élancent des tranchées, et s’emparent du village de Loos et de la « Colline 70 ».
Loos, le jour même.
J’avais respiré, malgré moi, ces vapeurs toxiques. La protection insignifiante de mon masque rudimentaire n’avait eu aucun effet. Je ne me souvenais même pas avoir tiré un seul coup de fusil lors de l’assaut. Pendant un court instant, j’eus une brève vision de la tranchée boche devant moi, puis, tout d’un coup, d’épaisses de volutes verdâtres m’enveloppèrent. Ce qui stoppa net ma course aveugle.
Je ressentis presque aussitôt une gêne dans les poumons. Chaque respiration devint plus pénible, et un étau comprima ma poitrine rongée soudainement par la douleur et les brûlures. La toux devenant de plus en plus violente, je me résignai à me recroqueviller et à m’affaisser sur le sol à la recherche d’un peu d’air. Nul ne prêtait attention à moi, c’était un sauve-qui-peut général ! C’est en rampant que je pus rejoindre mon abri. Un infirmier me récupéra, me mit un pansement humide sur les paupières, et je fus évacué de facto vers l’arrière. Tout s’embrouilla alors dans ma tête. Je me retrouvai étendu sur une civière à me lamenter dans ma souffrance. De plus, venant se rajouter à tous mes malheurs, il m’était impossible de contenir le flot de larmes qui ruisselait le long de mes joues. Etait-il possible que je finisse de la sorte ? Etais-je perdu ?
1er octobre 1915, zone sanitaire de Wimereux, près de Boulogne-sur-Mer.
Je passai des heures à me torturer ainsi, puis les effets du gaz s’estompèrent lentement. J’appris, bien plus tard, que la dose que j’avais respirée n’était pas mortelle. L’attente fut pénible et m’avait plongé dans une anxiété profonde. Je dus patienter plusieurs semaines, un bandeau sur les yeux, plongé dans l’ignorance et dans la nuit. Combien de temps allait-il me falloir avant de recouvrer la vue ? Allais-je revoir un jour ? Les médecins étaient formels : oui, bientôt !
La nuit du 13 au 14 octobre connaît le plus important raid de l’année par le nombre de dirigeables engagés: L11, L13, L14, L15 et L16.
Trois larguent leurs bombes ; les L11 et L16 n’atteignent pas leur objectif.
15 novembre 1915, près de Boulogne sur Mer.
Ma convalescence se passait pour le mieux. J’avais repris du poil de la bête. Je respirais plus facilement, mais nul doute que je risquais d’avoir des séquelles encore pour longtemps. Les infirmières étaient très gentilles, pourtant leur sort n’était pas plus enviable que le mien. La discipline était drastique : aucun rapprochement avec les blessés en dehors des soins ; pas même une photo ; le règlement était strict.
C’est ce jour-là que je reçus une lettre de mes parents en provenance de Londres.
My dear son,
Nous avons bien reçu ta dernière lettre dans laquelle tu nous précises l’adresse de ton hôpital. Nous sommes avec ta mère et ta sœur Martha rassurés et heureux de te savoir en vie. Nous avons joint à cette lettre un colis qui, nous l’espérons, te fera plaisir, t’aidera à patienter et à soulager tes souffrances. Nous croyons fermement en des jours meilleurs pour toi, et prions le Seigneur pour une guérison définitive. Ici le temps nous paraît atrocement long sans toi ; la vie s’écoule à chaque seconde dans le souvenir des moments heureux passés à tes côtés. Il nous semble, à tout moment, entendre tes éclats de rire si communicatifs. Et le son de ta voix qui suinte sur les murs résonne et ravive nos cœurs tristes.
Il est ici un péril qui nous inquiète et nous affecte profondément. Si je ne t’en ai jamais parlé, c’est seulement à cause de tes blessures qui occupent toutes nos pensées. Nous n’avons pas voulu rajouter à tes peines notre désarroi. Mais peut-être en as-tu déjà entendu parler à travers les dires des permissionnaires.
Sais-tu qu’une terrible menace pèse sur Londres et sa région ? Les Allemands nous bombardent la nuit pendant notre sommeil, avec des monstres volants qu’ils appellent Zeppelins. Nous vivons dans une angoisse permanente. Les forces de l’ordre font sans cesse des maraudes à bicyclette pour prévenir toute invasion de notre espace aérien. A chaque fois qu’on entend les policiers se servir de leurs crécelles ou de leurs sifflets, nous fondons dans les abris le plus rapidement possible. Notre pays n’est pas préparé pour se défendre contre de telles attaques. Ils procèdent par raids, en petits groupes silencieux ; ils sont indétectables car ils coupent leur moteur à l’approche de leur cible ; puis c’est le carnage. Il y a de nombreuses victimes parmi les civils. Ces armes sont terrifiantes, et personne ne peut mesurer leur puissance destructrice. Le fait nouveau, c’est que des gens soient tués chez eux depuis les airs. C’est la guerre moderne et totale, dans toute son horreur. Hier, dans la nuit du 13 au 14 octobre, nous avons subi un tel bombardement. Je me trouvais au dehors au moment de leur passage. Les artilleurs de la DCA ont tout de suite braqué leurs gigantesques projecteurs sur cet engin du diable, alors qu’il survolait la cathédrale Saint Paul. Les faisceaux l’ont bien cerné sur toute sa longueur, on aurait pensé un gros cigare qui se mouvait avec délicatesse dans l’obscurité. Mais sournoisement, comme le serpent, il nous a filé entre les doigts après avoir lâché ses bombes. La terreur s’est installée sur la capitale, et le moral des Londoniens est au plus bas.
Je voulais te tenir au courant de ce qui se passait ici. Sache que nous prenons toutes les précautions nécessaires pour notre salut, et qu’il ne peut rien nous arriver. Je veille sur ta mère et sur ta sœur, tu peux être rassuré. Pense à te rétablir le plus rapidement possible et reviens-nous vite, nous t’attendons impatiemment.
Dad, Mum, Martha.
Eh bien, voici une nouvelle qui n’était pas des plus rassurantes ! C’était du jamais vu ! Lâcher des bombes sur les populations civiles, c’était tout simplement de l’assassinat. Comment des soldats pouvaient-ils commettre des exactions aussi lâches ? Cette nouvelle me rendait nerveux et inquiet pour les miens. Je sentais la colère me gagner, mais que faire ?
27 novembre 1915.
Ce qui n’était, au départ, qu’un halo de lumière voilée et blanchâtre, se précisa avec les semaines qui passaient. Petit à petit les formes et les contours se distinguèrent ; pas très nets, bien sûr, mais je commençai à différencier quelques objets, quelques visages. J’avançai à petits pas vers un renouveau. J’apprenais à renaître ; et les couleurs réapparurent lentement.
Les médecins étaient plus inquiets sur mes difficultés à respirer. Mais c’était toujours ça de gagné ! me disais-je. Ce fut pour moi le premier point positif depuis bien des semaines. Je sortais de la torpeur et de l’angoisse, et l’espoir renaissait dans mon corps et dans mon esprit.
Quelle ne fut pas ma joie lorsque, pour la première fois, je pus m’aventurer seul au milieu des tentes de toile de l’hôpital militaire !
22 décembre 1915.
L’on venait de me signaler mon rapatriement imminent vers l’Angleterre.
26 décembre 1915.
J’étais transféré à Boulogne avec un groupe de soldats, tous souffrant de cécité comme moi. C’est alors que je pus me rendre compte que mon cas n’était pas unique. Etre resté dans l’isolement et dans le noir durant toutes ces semaines m’avait éloigné des réalités. Je devais, ce jour-là, me satisfaire de ma condition, et être heureux d’avoir pu conserver mes deux yeux. Ce qui, malheureusement, ne fut pas pareil pour d’autres plus gravement atteints.
D’ailleurs, nous ne fûmes qu’une poignée à entrer dans le ventre du navire hôpital par nos propres moyens. Tous les autres arrivèrent en file indienne. Chaque soldat défilait la main posée sur l’épaule du blessé situé devant lui.
Ce jour-là, deux bateaux de « l’Hospital Ferry Service », qui assuraient la navette avec Folkestone, se trouvaient à l’amarrage : les H.M.H.S Salta et Valdivia. Preuve que mon état s’améliorait d’une manière significative, je perçus nettement les croix rouges et les bandes vertes caractéristiques des deux navires sanitaires qui étaient à quai.
28 décembre 1915.
La traversée se déroula sans anicroches ; aucun sous-marin en vue. Je fus rapatrié aussitôt sur Londres, et le lendemain, on me dirigea vers le Beech House Military Hospital, à Brondesbury avenue.
Je passai tout le mois de janvier en soins. Les gênes pulmonaires dues à l’aspiration du chlore furent longues à se dissiper, sans jamais y parvenir complètement. Quant à mes yeux, je dus rester très souvent dans l’obscurité pour ne pas les fatiguer outre mesure. De toute évidence, le traumatisme que j’avais subi n’était pas près de disparaître. Et j’allais encore, durant de longs mois, subir l’effet dévastateur des gaz de combat dans ma chair.
Mars 1916.
Une commission spéciale de réforme a analysé mon cas ce matin. Je n’étais pas trop à mon aise au milieu de tous ces toubibs en blouses blanches. Ils s’attardèrent longuement sur mes capacités à respirer, et furent très attentifs à chacune de mes inspirations. Le bruit produit à l’intérieur de mes poumons avait de quoi les intriguer. Chaque gonflement de ma poitrine pouvait s’apparenter à un véritable concerto pour violons !
J’appris plus tard, et sans surprise, que j’étais classé inapte ; donc je ne retournerais pas me battre. Mais mon état de santé laissait à désirer ; les spasmes et les crises d’étouffement qui se succédaient régulièrement ne me permettaient pas d’envisager un avenir des plus heureux. Je fus, certes, renvoyé dans mes foyers, à la grande joie de mes parents ; mais à quel prix ?
Les semaines qui suivirent furent entrecoupées de visites à l’hôpital. Mon état demeurait stable et n’empirait pas. Presque chaque jour je me rendais dans Hyde Park, pour respirer un grand bol d’air frais. J’y rencontrais de nombreux blessés de guerre, réformés comme moi. Nous étions devenus inutiles et inaptes ; en quelque sorte des rebus. Notre pays n’avait plus besoin de nous. Lors de ces balades, nous échangions, dans nos conversations, notre douloureux vécu. Nous brandissions, chacun à notre manière, ce fardeau rempli d’amertume à la face des autres. Encore fallait-il qu’il reste aux mutilés assez de membres valides pour brandir quoique ce soit. Il en était de même pour ceux qui n’avaient plus de visage humain digne de ce nom. Pouvaient-ils y recevoir d’autres tourments, sinon ceux d’être appelés gueules cassées ?
Ma sœur m’accompagnait chaque fois qu’elle n’avait pas école. Je ne fus pas surpris le jour où elle m’annonça qu’elle languissait la fin de ses études. Son but avoué, c’était d’avoir l’âge de servir son pays en s’engageant comme infirmière. Elle participerait à sa façon à l’effort de guerre. La propagande de Kitchener battait son plein dans tout l’Empire, et avait fait des émules. Toutes les jeunes filles du pays mettaient un point d’honneur à vouloir le suivre. Qu’est ce qui était le mieux pour une jeune fille ? Devenir infirmière sur le front avec tous les dangers que ça représentait, ou bien munitionnette (women munition workers) dans une usine d’armement ? Comme celles de Chilwell, dans le Nottinghamshire, aux cadences infernales, qui risquaient leur vie à chaque seconde, en manipulant des explosifs. Où étaient toutes ces suffragettes d’avant-guerre ? Que pensaient-elles de la guerre aujourd’hui ? Une guerre d’homme ? Pas si sûr ! Toutes les forces vives de la nation avaient été mobilisées. Nous étions tous partie prenante pour une guerre totale. Celui qui saurait le mieux mobiliser son peuple, qui produirait et utiliserait au mieux ses ressources, aurait la victoire. Tout le monde avait compris, c’était une lutte à mort !
Mais Martha n’avait que quinze ans, elle avait encore le temps… et cette guerre ne pouvait durer indéfiniment. Au fond de moi-même, je tremblais de peur de voir les années s’égrener rapidement et d’assister à son départ prématuré. Nous étions les témoins d’un immense carnage qui s’auto-alimentait des forces vitales du pays. Chacun de nous voulait y prendre part et trouver sa place dans cet abattoir gigantesque. Une certaine émulation s’était emparée du peuple, et la jeunesse de notre pays s’engouffrait allègrement dans le tourbillon de ce qu’elle appelait the Great War.
Quant à moi, j’avais déjà fait don de ma personne. Serait-il possible que mon sacrifice eût été vain ? Fallait-il, aussi, lui jeter en pâture la vie de ma petite sœur, si innocente, si frêle ? Au fond de moi, j’essayais de me persuader que non, que je vivais un cauchemar et que j’allais bientôt me réveiller en sursaut dans mon lit.
Août 1916, Saint James’Park.
L’été était chaud et radieux. Comme à nos habitudes, il n’était pas rare de nous promener dans ce havre de verdure. La végétation y était dense et les pelouses accueillantes. La Duck Island, « l’île aux canards », et la West Island avaient quelque chose d’insolite ; elles n’avaient plus d’îles que le nom. Le lac Saint James avait été asséché et on pouvait s’y rendre par la terre ferme.
Dans la nuit du 24 au 25 août 1916 a lieu un important raid de neuf dirigeables: les L13, L14, L16, L21, L23, L31, L32, SL8 et SL9.
Un seul atteint Londres, le L31. Trois autres, les L16, L21, L32, atteignent l’Angleterre mais pas la capitale, et lâchent leurs bombes sur d’autres localités. Quant aux cinq derniers, les L13, L14, L23, SL8 et SL9, ils font demi-tour avant d’atteindre leur cible.
Cette fois-ci, je fus le témoin de l’événement. Une explosion lointaine se fit entendre, presque insignifiante, mais il n’en fallait pas plus pour déclencher instantanément une panique à grande échelle dans la capitale.
Beaucoup de londoniens se réfugiaient dans les abris du métro ou dans leur cave personnelle (pour ceux qui en avaient une). La police manœuvrait toute cette masse affolée à grands coups de sifflets stridents ; ce qui rajoutait au tumulte et à la pagaille un air de catastrophe. Du jamais vu ! Et quelque chose de troublant se manifesta dans mon esprit. Comment une pareille chose pouvait-elle exister ? Tous ces hommes et toutes ces femmes n’avaient, jusqu’alors, vu dans le ciel que des oiseaux. Ils étaient terrorisés d’entendre, au-dessus de leurs têtes, le vol de ces mastodontes qui, avec une seule bombe, pouvaient pulvériser leur quartier. Et à la peur de disparaître avec leur famille sous les décombres venaient se rajouter l’angoisse et le cauchemar.
Dès l’alerte donnée, les spots éblouissants encadrèrent la superstructure de l’engin de mort. Les faisceaux lumineux, ainsi déployés, laissèrent toute amplitude à la DCA pour tenter de détruire l’aérostat allemand. Aussitôt, les batteries commencèrent à vomir sur lui une déferlante de pluie d’obus. Des projectiles de tous calibres fusèrent dans les ténèbres de cette nuit d’encre. L’obscurité en fut ainsi zébrée d’éclairs rougeoyants et destructeurs. Le cigare volant continuait irrémédiablement sa route. Il avait dû, certes, se faire trouer sa majestueuse enveloppe par les éclats, mais il ne changeait pas de cap. Il largua impunément le reste de sa charge mortelle sur les habitations de la capitale.
J’avais pourtant connu l’enfer en France et en Belgique, mais là, il s’agissait tout simplement d’assassinat, et de semer la panique et le désarroi chez les civils.
Dans la nuit du 2 au 3 septembre 1916, 16 dirigeables, 5 de l’armée et 11 de la marine attaquent l’Angleterre.
Seul le SL11 de l’armée bombarde Londres. Il est détruit par un chasseur britannique 30 kilomètres plus au nord, au-dessus de Cuffley. Treize autres ne parviennent pas à trouver Londres : les L11, L13, L14, L16, L21, L22, L23, L24, L30, L32, SL8, LZ90 et LZ98. Les L17 et LZ97 rebroussent chemin avant d’atteindre l’Angleterre.
Dans la nuit du 23 au 24 septembre 1916 arrive un important raid de 12 dirigeables de la marine.
Seuls les L31 et L33 réussissent à bombarder Londres. Huit atteignent l’Angleterre : les L13, L14, L17, L21, L22, L23, L30, L32. Quant aux L16 et L24, ils font demi-tour.
Jusqu’à la fin de l’année, nous vécûmes au rythme de ces attaques aériennes. Nous ne pouvions prévoir à l’avance leur apparition dans notre ciel. La peur et la paranoïa de mes concitoyens augmentaient d’autant plus que la nuit tombait. Notre seul espoir résidait dans l’arrivée du mauvais temps ou d’une tempête. Mais peu à peu, ces excursions diaboliques se raréfièrent. Un fait était certain, l’Allemagne ne pouvait continuer à perdre ses aérostats et ses équipages à cette vitesse. Le devait-on aux nombreuses prières de ma mère ? Nul ne pouvait le dire.
L’année suivante, en 1917, dans la nuit du 19 au 20 octobre, apparaît, dans le ciel britannique, un dernier raid de 11 dirigeables de la marine.
L’objectif principal de l’attaque n’est pas Londres, mais les villes industrielles du nord. Aucun zeppelin ne trouve sa cible. Ils sont tous déroutés vers le sud par de violents vents du nord. Si le L45 largue ses bombes sur la capitale, les autres dirigeables, les L41, L44, L46, L49, L50, L52 et le L53 lâcheront leurs bombes au hasard sur des agglomérations britanniques. Les L54 et L55 feront demi-tour avant d’atteindre l’Angleterre. Ce raid se terminera en un véritable désastre. Toujours poussés par les vents du nord, ils s’orienteront vers la France et seront forcés de se poser ou abattus. Cinq zeppelins seront détruits.
Leefe Fergusson sera classé parmi les grands blessés de cette guerre. Ses poumons ne retrouveront jamais leurs fonctions vitales. Il succombera à ses blessures en 1940, alors que Londres subit de nouveaux bombardements…cette fois-ci par l’aviation nazie.
Sa sœur Martha fera des études de médecine et deviendra une célèbre pneumologue.
Parmi les morts de la bataille de Loos-en-Gohelle, on retiendra celle de John Kipling (le fils de Rudyard Kipling), celle de Fergus Bowes-Lyon (le frère de la reine Elisabeth, future reine consort de Georges VI), ainsi que celle du poète Charles Sorley.
Publié précédemment : « Du sang sur les bleuets » Éditions Volume.
Avec tous mes remerciements au service des archives de la ville d’Aix en Provence.
« Le Zeppelins a Stairway to hell ! », nouvelle extraite de mon livre « Des Poppies et des larmes ».
Cette nouvelle est une fiction, toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé ne serait qu’une pure coïncidence. Seuls les événements historiques sont authentiques.
Lire dans la même collection :
A Journey to Gallipoli – L’embarquement
A journey to Gallipoli – Terminus Gaba Tépé
Lire :
Zeppelins sur Londres a « Stairway to Hell ! »
Sources :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Loos
https://fr.wikipedia.org/wiki/West_Yorkshire_Regiment
Photos publiques Facebook
Mes photos
La Grande Guerre, Éditions ALP/Marshall Cavendish, 1997/1998
14-18 Le magazine de la Grande Guerre, N°1 à 34 de 2001 à 2006
C’était la guerre des Tranchées, Tardi, Éditions Casterman
Le Chemin des Dames, Pierre Miquel, Éditions Perrin 1997
Mourir à Verdun, Pierre Miquel, Éditions Tallandier 1995
Les mutineries de 1917, documentaire TV de Pierre Miquel
Paroles de Poilus, Editions Tallandier 1998
La première guerre mondiale, Suzanne Everett, 1983
Frères de tranchées, Marc Ferro, Éditions Perrin 2005
Tous mes remerciements au services des archives de la ville d’Aix en Provence.
Bonjour,
Je viens de lire votre article sur le Zeppelin et je dois dire que j’ai été captivé. Votre passion pour la musique et votre connaissance approfondie du sujet transparaissent dans chaque ligne. J’ai particulièrement aimé votre analyse de l’album « Stairway to Heaven ». Vous avez réussi à mettre en lumière des éléments que je n’avais jamais remarqués auparavant. Merci pour ce moment de lecture instructif et agréable. J’aimerais beaucoup connaitre votre opinion sur la place du Zeppelin dans l’histoire du rock. Encore bravo pour votre travail !
Cher Jean-Marie, j’ai adoré votre article sur le Zeppelin et l’histoire de Stairway to Heaven. Votre passion pour la musique et votre connaissance de l’histoire du rock sont vraiment palpables. Vous avez réussi à captiver le lecteur avec des informations intéressantes tout en gardant un ton léger et agréable à lire. J’aimerais en savoir plus sur vos goûts musicaux et les groupes que vous admirez. Merci pour ce superbe article.
Bonjour Jean-Marie,
Je tenais à vous féliciter pour votre article très intéressant sur le Zeppelin. Vous avez su captiver mon attention avec votre analyse musicale et votre plume vive et dynamique.
J’ai particulièrement apprécié votre approche originale en comparant la musique du groupe à une montée infernale vers les portes de l’enfer. Votre article m’a donné envie d’en savoir plus sur l’histoire de ce groupe mythique.
Merci pour cette belle découverte et au plaisir de vous lire à nouveau.
Bien à vous.
Je tiens à vous féliciter pour cet article passionnant sur le Zeppelin et leur morceau culte « Stairway to Heaven ». Votre analyse et votre passion pour la musique transparaissent dans vos écrits, ce qui rend la lecture très agréable. J’aimerais en savoir plus sur vos références musicales et vos coups de cœur. Peut-être pourrions-nous discuter de cela dans les commentaires ? Merci encore pour ce bel article !
Bonjour Jean-Marie,
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Merci pour ce partage et au plaisir de vous lire à nouveau.
Bien cordialement,
Un lecteur attentif.
Bonjour Jean-Marie,
Je viens de lire votre article sur le Zeppelin et je dois dire que c’était très intéressant ! J’ai appris beaucoup de choses sur l’histoire de ce célèbre groupe de rock et j’ai surtout aimé votre analyse de leur fameuse chanson « Stairway to Heaven ». Vos commentaires sur les paroles et la musique étaient très perspicaces et m’ont donné une nouvelle perspective sur cette chanson.
Je me demande si vous avez déjà assisté à l’un de leurs concerts ? Si oui, j’aimerais entendre votre expérience. Si non, peut-être que nous pourrions y aller ensemble un jour !
Encore merci pour cet article de qualité !
Bien cordialement.
Cher auteur de l’article sur le Zeppelin, je voulais vous féliciter pour votre contenu très intéressant et instructif. J’ai particulièrement apprécié la façon dont vous avez expliqué l’histoire du groupe et son impact sur la musique d’aujourd’hui. Votre article m’a donné envie d’en savoir plus sur ce groupe mythique et sur son influence dans le monde de la musique. Merci pour votre contribution inspirante !
Bonjour Jean-Marie,
Je voulais vous féliciter pour votre article sur le Zeppelin. J’ai trouvé votre analyse très intéressante et j’ai apprécié votre point de vue sur le groupe. Personnellement, je pense que leur musique a marqué une génération et continue d’inspirer de nombreux artistes aujourd’hui. Votre article a réussi à capturer cette essence intemporelle de leur musique. Merci pour cet excellent contenu, j’attends avec impatience votre prochain article !
Cordialement,
Bonjour Jean-Marie,
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Merci pour cet article intéressant et instructif. J’attends avec impatience de lire vos prochaines publications.
Bien cordialement,
Un fan de musique.
Bonjour, je tiens à vous féliciter pour votre article sur le Zeppelin. Vous avez su captiver mon attention et me faire voyager à travers l’histoire de ce groupe légendaire. Les anecdotes et les informations que vous avez partagées étaient très intéressantes et m’ont permis d’en apprendre davantage sur l’univers du rock. J’espère avoir l’opportunité d’échanger avec vous sur ce sujet passionnant. Merci pour cette belle lecture !
Bonjour, je viens de lire votre article sur le Zeppelin et je suis impressionné par votre connaissance et votre passion pour ce groupe légendaire. J’ai particulièrement apprécié votre analyse de l’album « Stairway to Heaven » et j’ai appris beaucoup de choses grâce à vos explications détaillées. Je serais ravi d’en discuter davantage avec vous et d’entendre vos réflexions sur d’autres albums de Zeppelin. Merci pour cet excellent article !
Bonjour,
Je viens de lire votre article sur le Zeppelin et j’ai été captivé par votre plume. Votre manière de raconter l’histoire est fluide et entraînante, et j’ai appris des choses que je ne savais pas auparavant. J’aimerais en savoir plus sur vos sources et vos recherches pour cet article. Merci pour cette belle découverte !