« Un taxi pour Gagny »

« UN TAXI POUR GAGNY »

Une nouvelle de mon livre, « des Poppies et des Larmes »

« LES TAXIS DE LA MARNE »

Bataille de la Marne, du 6 au13 septembre 1914

Taxi Renault

Le 4 août 1914, l’Allemagne envahit la Belgique et le Luxembourg neutres. Les armées outre-rhin, avec à leur tête le chef d’état-major Helmut Von Moltke, appliquent à la lettre leur plan de campagne, le Plan Schlieffen.    

Helmut Von Moltke

Le but est d’obtenir, en six semaines, une victoire décisive à l’Ouest contre l’armée française et son allié britannique. Une fois cet avantage acquis, tous les efforts doivent se reporter à l’Est contre la Russie qui, pense-t-on, n’a pas fini sa mobilisation.   

Plan Schlieffen

 

Alexander von Kluck

Pour ce faire, un gigantesque mouvement enveloppant du dispositif de défense allié s’exécute.

Otto von Below

L’aile marchante droite, comprenant la 1ère armée commandée par Von Kluck et la 2ème par Von Bülow, avec pour point de départ la frontière germano-belge, déferle sur Paris en passant par la Belgique.

 De leur côté les Français appliquent, comme prévu, leur Plan XVII, et se portent aux frontières pour effectuer une percée en Lorraine. Le 8 août, ils entrent dans Mulhouse qu’ils reperdent deux jours plus tard. La bataille qui s’ensuit, les 19 et 20 août, est un échec pour les armées françaises. Cette série d’affrontements, le long des frontières franco-belge et franco-allemande, du 7 au 23 août, les Français l’appelleront « la Bataille des Frontières. »

En 1914, les grands stratèges de l’armée française croient « dur comme fer » que l’infanterie est la reine des batailles. Pour enlever une position ennemie, il suffit de masser un grand nombre de soldats, de les faire charger, sabres au clair et baïonnettes aux canons. On prône l’offensive à outrance, avec un armement dépassé, et des uniformes de parade du siècle précédent. Mais en ce début de mois d’août 14, le panache des charges en casoars et gants blancs peut-il l’emporter sur une armée allemande bien préparée et qui se bat avec du matériel moderne ? La France débute ce conflit avec une guerre de retard.

 – 19 août 1914, l’armée belge se replie dans le camp retranché d’Anvers.

 – 20 août 1914, défaite française à Sarrebourg, Dieuze et Morhange.

Soldat Raoul Laurentin, 103ème RI – 7ème Division. (Général Trentinian)

 Ethe, 22 Août 1914, quelque part en deçà de la frontière Franco-belge.

Il faisait une chaleur insupportable, et nous étions tous épuisés. La campagne environnante était parsemée de tâches rouges, et ce n’étaient pas des coquelicots, mais bel et bien la couleur des pantalons de nos frères morts ou agonisants. Ici le paysage était une succession de petites vallées encaissées, dont les hauteurs permettaient à l’ennemi de tenir des positions de départs fortes.

Canon de 75 français

Il n’y avait pas trois semaines que nous étions entrés en Belgique, et déjà nous amorcions un repli. Ça pétaradait dans tous les recoins ! nous étions talonnés par des unités bien déterminées à en finir le plus tôt possible avec nous ! Mais nous ne cédions pas à la panique. C’est même avec acharnement que nous défendions chaque pouce de terrain ; pourtant nous reculions sans cesse. Régulièrement je me posais la même question : avais-je tué un homme dans cette débâcle ?

Pour l’heure, j’étais à l’affût derrière un bosquet ; un hennissement inopportun avait éveillé mon attention. Je n’étais pas seul à me cacher dans la broussaille, tous avaient eu la même intuition que moi. Au bout de quelques secondes apparurent nonchalamment trois Uhlans montés, qui se pavanaient, comme à la parade, sans se soucier de notre présence. Etait-ce un piège ? Il était impossible que ces trois soldats qui arpentaient le champ de bataille fussent seuls.  Ils n’étaient vraiment pas sur leurs gardes, et je trouvais leur approche audacieuse. Ou alors, c’était de la folie pure ! L’artillerie de campagne continuait sans répit son œuvre destructrice, et les obus de 77 allemands répondaient avec fougue aux 75 français.

Uhlans

Mais en cet instant, la canonnade, qui se précisait d’heure en heure, ne nous détachait pas d’un pouce de nos trois cavaliers imprudents. Soudain, en une fraction de seconde, tous les fantassins sortirent comme de beaux diables de leurs fourrés et se précipitèrent sur leur proie. Surpris par cette attaque, les Uhlans furent vite submergés par notre élan et notre nombre. Leurs montures se cabrèrent sous l’impulsion. Leurs sabots, levés en défense, menaçaient de nous fracasser les os et pédalaient dans le vide. Sabres au clair, les trois Teutons esquissèrent un moment cette ruée. L’un d’eux eut même le réflexe, et le temps, d’asséner un violent coup d’épée sur le crâne d’un fantassin qui n’avait pas pris garde à la lame qui se dirigeait sur lui. Presque instantanément il fut transpercé par nos Rosalie (baïonnettes). Les deux autres furent agrippés par les bras, désarçonnés, alors que leurs chevaux tournoyaient sur place, jetés à terre comme des paquets de linge sale, et achevés manu militari. Nous n’avions aucun scrupule, car nous savions très bien qu’ils auraient agi de la même manière avec nous s’ils en avaient eu l’occasion. D’ailleurs, des témoins avisés qui avaient échappé de justesse aux exactions des boches, rapportaient que ceux-ci achevaient les blessés français et belges.

Cette méthode faisait partie de la panoplie d’une armée dénuée de tout complexes, qui se disait civilisée. Les trois cavaliers furent dépouillés de leur casque, ce couvre-chef si caractéristique du Uhlan.

« Un souvenir pour mon fils ! » s’écria l’un des fantassins. « Moi aussi ! » s’écria un autre, et rapidement, avec la vitesse du furet, tous se dispersèrent. Deux des trois cadavres ainsi démunis de leurs attributs gisaient à même le sol. Le troisième était passé de vie à trépas en restant sur sa selle, les pieds aux étriers. Il avait la tête qui reposait sur la crinière de son cheval. Et ses bras ballants laissaient couler quelques gouttes de sang le long de sa manche, jusqu’aux bouts de ses doigts. Un perfide petit filet d’un liquide rouge s’était formé et dégoulinait sur le flanc de l’animal. Je me remis en route et continuai mon repli.

Fantassin français et son sac à dos.

Les routes regorgeaient de réfugiés belges qui encombraient les chaussées. Les soldats étaient admirables, me disais-je, la troupe exécutait des marches forcées, combattait en retraite, contre-attaquait, rien n’ébranlait leur ardeur à guerroyer. Mais tous étaient fourbus, écrasés de fatigue sous une chaleur étouffante ; beaucoup s’endormaient lors d’une halte. La pression était si importante qu’on ne se risquait plus à desseller les chevaux dont les harnachements collaient aux chairs. Il fallait continuer à résister, à se battre, à contre-attaquer sans cesse, pour conserver l’espoir de faire volte-face et de renverser la situation catastrophique dans laquelle se trouvait l’armée française. Mais nous y croyions, nous allions nous ressaisir, ça ne faisait aucun doute. Pour l’instant, des milliers de soldats aux pantalons rouge garance se repliaient, en cédant toutes les heures aux barbares des pans entiers du sol sacré de la patrie.

– 22 août 1914. Défaite française à Longwy, et échec devant Charleroi.

 – 23 août 1914. Défaite de la B.E.F à Mons. (British Expeditionary Forces.)

Joffre

Conformément aux accords d’entre-aide mutuelle des Alliés au sein de l’Entente, et pour soulager le front de l’Ouest, les Russes passent à l’offensive à l’Est et battent l’armée du général allemand Prittwitz à Gumbinnen.  

Maunoury

25 août 1914. Moltke prélève des divisions du front occidental et les transfère vers la Prusse-Orientale. Il affaiblit ainsi son aile marchante droite, à la grande désapprobation d’une partie de ses officiers d’état-major. Il privilégie la prudence à un moment où ses armées engrangent partout des succès, alors qu’il se doit de redoubler d’audace. Conséquence sensible sur l’itinéraire prévu, le mouvement enveloppant des 1ère et 2ème armées allemandes s’infléchit vers le sud.

Joffre crée la 6ème armée, placée sous le commandement du Général Maunoury.  

26 août 1914. Adolphe Messimy, ministre de la guerre, confie la défense de Paris au général Gallieni.

Joseph Gallieni

Le même jour, défaite de la B.E.F du général French au Cateau ; mais l’ennemi subit de lourdes pertes.

Képi du fantassin français de 1914

Bien entendu, Raoul Laurentin ne pouvait pas savoir tous les événements qui se précisaient en haut lieu ; noyé dans le reflux des forces alliées, il essayait de survivre dans la tourmente qui se déchaînait autour de lui. La situation était grave mais rien n’était perdu !

Képi et cervelière du fantassin français de 1914

– 29 août 1914. Victoire de l’armée du général Lanrezac à Guise. L’aile gauche de la 2ème armée de Von Bülow est si fortement bousculée que celui-ci demande de l’aide à la 1ère armée Von Kluck.

 – 30 août 1914, à l’Est. Désastre russe de Tannenberg.

Nos gradés n’avaient de cesse de nous répéter : « Il ne s’agit pas d’une débâcle mais d’une retraite, faites confiance dans notre armée, elle nous mènera à la victoire ! » Pourtant, ça ressemblait à s’y méprendre à une défaite. Ça faisait maintenant des jours que nous n’avions plus fait un pas en avant ! Combien de kilomètres devrais-je faire encore ? Mes jambes ne me portaient plus, je me traînais lamentablement et je n’avais presque plus de peau sous les pieds. Chaque arrêt était le bienvenu ; devant moi s’étendait le désastre d’une armée qui battait en retraite dans toute sa splendeur. Les blessés étaient transportés dans des carrioles, sans aucune précaution ni confort. J’avais le cœur soulevé à chaque cri, à chaque plainte qui s’échappait de ces cortèges sanguinolents. On pouvait suivre à la trace ces convois, porteurs de douleur et de souffrances, par les traînées de sang qu’ils laissaient sur leur passage derrière eux. Sur le bord des chemins, de nombreux égarés comme moi avaient perdu leur régiment. Ils avaient combattu et marché durant tous ces jours d’affrontements successifs sans prendre un court repos. Une petite halte le temps de se rafraîchir le gosier, de s’informer sur la bataille, puis tous repartaient. Nous étions devenus les acteurs d’une mascarade en forme de tragédie grecque. Un flux migratoire, composé de dizaines de milliers d’hommes de troupes, de réfugiés belges, d’ambulances, de véhicules de toutes sortes, de chevaux, de mulets de traits, obliquait dans la direction de la capitale.

Raoul Laurentin appartient au 103ème RI de la 14ème brigade, dans la 7ème DI du 4ème Corps d’armée, qui est une des composantes de la 3ème armée sous le commandement du général Ruffey.

1er septembre 1914. Face à cet afflux de troupes, de réfugiés, de matériel, la logistique va prendre une place cruciale. Les transports ferroviaires sont débordés ou détruits ; beaucoup de parisiens fuient vers la province se mettre à l’abri. C’est alors que Gallieni prend une décision inédite : demander de l’aide aux civils. Il réquisitionne tous les moyens de transport, et 180 taxis sont utilisés, pour la première fois dans l’Histoire, pour le transfert de vivres vers le front.

 

Sur le bas-côté de la route, au milieu des soldats fourbus, un espace venait de se libérer ; j’en   profitai pour m’assoir un petit moment et pour me déchausser. Etonnante vision que cette masse informe de pantalons rouges affalée sur les talus.

Fantassin français de 1914

Se traînant lamentablement dans la poussière soulevée par tout ce vacarme, arriva un cavalier qui était aussi mal en point que son cheval. Il s’arrêta face à nous, et descendit péniblement de sa monture. C’était un hussard du 14ème escadron ; il faisait partie, comme moi, du 4ème  Corps d’armée. Il s’approcha du groupe et se laissa tomber lourdement sur l’herbe. Son canasson, libre de tous mouvements, nous fixa longuement. Ses oreilles étaient rabattues, et une couche brunâtre de terre mélangée à sa transpiration recouvrait sa robe terne. Il faisait peine à regarder ; de toute évidence cet animal était au bout du rouleau et aurait beaucoup de mal à rejoindre son paddock. Le cavalier, épuisé, était incapable d’esquisser le moindre geste ; il demeurait inanimé, étendu sur le sol.

« Il faut faire boire cette pauvre bête ! dis-je.  Est-ce qu’il vous reste de l’eau dans vos gourdes ? ». Tous s’apprêtaient à récolter un peu d’eau dans un récipient pour abreuver l’étalon. Celui-ci, alléché par le liquide, fit un pas hésitant dans notre direction, puis s’effondra, sans vie, sous nos yeux attristés. Tous contemplèrent en silence la scène qui venait de se dérouler, puis se levèrent et reprirent leur retraite vers Paris. Leur azor (havresac) devenait de plus en plus lourd à porter, et sous le chaud soleil de ce mois d’août, ses trente kilos me paraissaient insurmontables. Mais, bon gré mal gré, j’avançais… ou plutôt je reculais !

Équipement du fantassin français de 1914.    

Uniforme du fantassin français en 1914

– Un képi modèle 1884, plus une cervelière.    

Képi et cervelière du fantassin français de 1914

– Une capote, modèle 1877, en drap de laine « gris de fer bleuté », le n° du régiment inscrit sur le col.    

Soldat français 1914

– Une cravate, rectangle, de coton « bleu marin. »

– Un pantalon, dit garance, modèle 1867, un caleçon, et une chemise.

– Une paire de jambières, adoptée en 1912.

– Une paire de brodequins cloutés, modèle 1912.

– Un fusil, dit Lebel, modèle 1886, modifié 1893.

Fusil, Lebel, modèle 1886

– Une épée baïonnette, modèle 1886, dit Rosalie.

– Une cartouchière, modèle 1888.

– Un havresac en toile cirée, surnommé Azor ou As de carreau par le poilu.

– Une musette en toile de lin.

– Un bidon de 1 litre recouvert de drap.

– Un quart en fer de 25 cl.

Cavaliers français en août 1914

3 septembre 1914. Le président de la République, Raymond Poincaré, et son gouvernement, quittent Paris pour Bordeaux. Le même jour, des reconnaissances aériennes françaises et britanniques signalent que l’armée de Von Kluck tout entière a franchi l’Oise à la hauteur de Compiègne, et que ses colonnes avancent, à marche forcée, vers le sud-est. En infléchissant sa marche initiale, elle abandonne la route de Paris pour se diriger vers l’Ourcq et la Marne. Les Allemands sont aux portes de Paris.

Plan Schlieffen

Nous reculions, certes, mais je ne savais pas où ! Ni quand ça s’arrêterait ! Je suivais ce flot ininterrompu comme un mouton de Panurge, et cela depuis plus de dix jours maintenant. Dans la journée, la chaleur était accablante. La nuit, c’était presque impossible de se diriger dans cette contrée ignorée de tous. Nous traversions des villages isolés, laissés à la merci des fuyards et des maraudeurs en quête de rapines. Les champs de blés, maltraités par la cohorte militaire qui se déployait au milieu des épis, prenaient des aspects de terrains vagues et devenaient le théâtre de scènes désolantes. Les récoltes n’avaient pas pu être fauchées par manque de temps. Dans leurs départs précipités, les paysans avaient abandonné leurs granges qui demeuraient désespérément béantes et vides de céréales. Beaucoup d’animaux de la ferme erraient dans les campagnes, et nul doute que l’ennemi, dans son avancée, se repaîtrait de cette abondance de victuaille fraîche qui lui était proposée sans coup férir ! Depuis le commencement de la débâcle, cette masse humaine en souffrance n’avait pas pu avoir plus de quatre heures de repos par jour. Les soldats, comme hallucinés de fatigue, traînaient leurs brodequins sur la croûte poussiéreuse des routes, qui se prêtaient mal à tant de charroi. Bien souvent, c’était à travers champs qu’il fallait couper, ou emprunter de sommaires pistes difficilement praticables. Les ponts étaient, pour la plupart, minés, les unités du génie s’affairaient aux préparatifs de mise à feu ; tout était mis en place pour ralentir la marche des Allemands. Les chevaux mouraient par centaines sur le bord des routes, et leurs carcasses immobiles se révélaient autant de fardeaux qu’il fallait dégager de la chaussée.

Troupes françaises pendant la bataille de la Marne

Le jour venait de se lever. A la sortie d’une courbe, sur la voie, un attroupement hétéroclite s’était formé ; une sorte de rumeur s’échappait de la foule. Des habitants du coin se hâtaient pour entasser leurs biens les plus utiles sur une vieille charrette, provoquant ainsi l’arrêt momentané de la colonne. Il n’était pas rare de voir se former de tels barrages. Le flot des convois grossissait avec l’apport de ces émigrants qui fuyaient. Ces ralentissements aggravaient ostensiblement notre peine, et aussitôt des rouspétances se faisaient entendre.

C’est alors que je repris contact avec des gars du 103ème. Ils avaient tous été isolés comme moi après la raclée qu’on avait subie à Ethe, en Belgique. Nous avions eu, à quelques exceptions près, le même parcours. Il y avait des manquants, certes, mais peut-être étaient-ils toujours en vie. Nous avions trop vu de morts pour envisager le contraire, et puis nous ne nous connaissions pas tous !

Nous décidâmes de rester groupés le plus longtemps possible ; c’est du moins ce que nous pensions !

Bataille de la Marne

3 septembre 1914. Des détachements d’Uhlans sont signalés à quelques dizaines de kilomètres de Paris. Les Allemands cantonnent au Plessis-Belleville.  

De toute évidence, Moltke a modifié ses plans. Il veut couper Paris des Français en se dirigeant vers le sud-est. Il ne sait pas que Gallieni a transformé la ville en camp retranché, ni que Joffre vient de créer une 6ème armée sous le commandement de Maunoury. Cet infléchissement sur l’itinéraire initial est une grave erreur car, sans le savoir, Moltke présente le flanc droit de son armée à l’ennemi.

En 1914, la France est la nation phare de la construction automobile ; la capitale dispose de 12 000 taxis, et 7000 chauffeurs sont mobilisés pour la guerre.

Notre fantassin, Raoul Laurentin, bien qu’épuisé (comme d’ailleurs tout le squelette de son régiment, le 103ème), ne sait pas lui non plus qu’il va vivre un moment d’Histoire. Son calvaire prend fin en ce 5 septembre 1914 ; ses camarades et lui embarquent vers une destination alors inconnue, près de Paris.

Équipement du fantassin allemand de 1914.    

Uniforme du fantassin allemand en 1914

– Un casque à pointe en cuir bouilli, le « Pickelhaube ». En campagne, il est recouvert d’une housse protectrice en toile pouvant porter, ou non, le numéro du régiment.    

– Un fusil Mauzer Gewehr, modèle 1898.

– Une baïonnette, modèle 1898.    

Mauser Gewehr 98

 

– Un pantalon en drap orné d’un passepoil rouge.    

Uniforme du fantassin allemand de 1914

– Une tunique (ou vareuse) en drap vert-de-gris à col rabattu, fermée par 8 boutons, portant la couronne royale au milieu.

– Une paire de bottes en cuir brut, modèle 1866.

– Un havresac en toile, contenant des vivres, le nécessaire de toilette, le linge de rechange. La gamelle est fixée sur le rabat. La capote et la toile de tente sont attachées en fer à cheval.

– Un ensemble de cartouchières en cuir fauve, modèle 1919. Elles peuvent contenir 60 cartouches.

– Un bidon de 80 cl, modèle 1910.

– Une plaque d’identité.

– Des grenades, modèles 1914.

– 5 septembre 1914. Arrivée, dans la soirée, du 103ème et du 104ème RI (6000 hommes). Cantonnement entre Gagny et Villemomble, à 50 kilomètres du front. 

– 6 et 7 septembre 1914. Le général Gallieni ordonne la réquisition immédiate de 600 taxis pour transporter la 7ème DI vers le front. Rassemblement aux Invalides, où deux convois sont organisés. Le premier est constitué de 600 véhicules et part à vide, dans la nuit du 6, pour Livry-Gargan ; le second part le lendemain, également à vide, pour Gagny.  

Le taxi de la Marne

Le taxi de la Marne

Nous étions rassemblés sur cette place, un peu comme un troupeau de moutons, sans trop savoir ce que nous faisions là, dans cette petite ville à quelques kilomètres de la bataille. D’ailleurs, nous entendions d’une manière sporadique des sifflements d’obus et de fusants dans le lointain, juste pour nous rappeler que la guerre était toute proche, et que finalement, on ne nous avait pas oubliés ! On avait certainement besoin de nous ici, et pas ailleurs. Mais pourquoi ?

Il y avait des militaires partout, mais nous étions tous du 103ème, ce qui représentait environ 3000 fantassins. D’après les dires de certains, notre artillerie (26ème RAC, 3 groupes de 75) suivait de près, ainsi que la cavalerie (14ème Hussard, 1er escadron). Donc, presque tout le régiment allait être réuni, et ensuite suivrait le Génie (Compagnie 4/1).

Le second convoi, qui concerne le 103ème RI, part dans la journée du 7 septembre. C’est un défilé en plein jour dans les grandes artères de la capitale (Pont Alexandre, rue Royale, rue Lafayette, Avenue Jean Jaurès, route de Meaux vers Gagny). Il restera dans la mémoire collective des parisiens et marquera longtemps leurs esprits.

Le taxi de la Marne

L’attente fut longue, certes, même si on nous avait apporté de quoi manger ; et puis, battre le carreau de la sorte, sans aucune information, rendait les hommes nerveux et inquiets. Des petits groupes s’étaient formés par affinités. Des suppositions toutes aussi farfelues les unes que les autres naissaient dans leurs affabulations respectives. Chacun racontait la suite des événements à sa façon ! Et croyez-moi, il y avait de quoi remplir toutes les Unes des quotidiens de la capitale en faits divers et autres épisodes croustillants. Mais le moral était toujours là ; en témoignaient ces attroupements insolites dont les discours ne laissaient jamais place ni à la morosité, ni au défaitisme.

Raoul Laurentin est loin de s’imaginer ce qui se prépare. Il va être le témoin d’un des épisodes les plus illustres de l’Histoire de France, un de ces événements historiques qui demeure à jamais inscrit dans les livres scolaires. Et qui donnera aux générations futures les repères d’une victoire décisive de la première guerre mondiale, connue sous le nom de « les Taxis de la Marne. » 

S’il y a une voiture qui a sa place dans les annales de l’automobile, c’est bien le véhicule Renault 2 cylindres, type AG, qui fait, en ce début septembre 1914, une entrée de plain-pied dans l’Histoire.

Renault Type AG 9 CV 1910

 Un peu après 19 heures, nous entendîmes un ronronnement sourd en provenance de Noisy-le-Sec. Ce bruit s’intensifia au fil des secondes, et quelle ne fut pas notre surprise lorsque nous vîmes arriver une cohorte de fiacres automobiles.

– « Cinq par véhicules ! cria l’officier chargé de l’embarquement.  Quatre derrière et un devant avec le chauffeur ! » La messe était dite, et il ne nous fallut que quelques secondes pour réaliser et comprendre ce qui nous arrivait.

–  Vous avez commandé un taxi ? nous demanda notre conducteur, avec un air débonnaire. Cette petite plaisanterie était la bienvenue, et tranquillisa notre anxiété du moment.

– Vous êtes nombreux ?  continua-t-il.

– 3000 ! lui répondis-je.

– Ca va vous faire cher ! plaisanta-t-il. Je m’appelle Alfred, appelez-moi Fred, c’est comme ça que tout le monde me baptise.»

Les célèbres taxis de la Marne

La capote était rabattue, ainsi que celle du coffre, ce qui facilita le chargement de nos paquetages. Eh bien voilà, pour une surprise c’en était une ! nous étions partis pour d’autres équipées inconnus. Nous appréciâmes ce transport inaccoutumé qui nous trimbalait allègrement. Dans un confort certes spartiate, mais qui était le bienvenu après tant de kilomètres dans les jambes ! Nous n’eûmes que très peu de ralentissements, dus à quelques pannes mécaniques. Mais tout avait été prévu : des groupes de mécaniciens s’affairaient presque aussitôt pour remettre le véhicule en ordre de marche. Je devais l’avouer, j’étais enchanté par ce moyen de locomotion. Il est vrai, aussi, que je n’étais jamais monté comme client, les tarifs pratiqués ne correspondant pas à mes moyens financiers d’avant-guerre. De plus, je n’en avais pas l’utilité. Prendre une voiture de fiacre à moteur n’était pas dans les réflexes de l’époque, et il m’était arrivé rarement de circuler en voiture hippomobile.

Départ de la RN13.

Puis, avec l’aide de notre sympathique chauffeur, nous pûmes, malgré l’obscurité (il était plus de 8 heures), connaître les noms des patelins que nous traversions. La colonne s’étendait à l’infini, à la queue leu leu, dans un défilé ininterrompu. Des estafettes montées sur des motocyclettes assuraient nos flancs gardes, prêts à intervenir en cas de nécessité absolue. Je me disais alors que nos petites personnes étaient devenues, pour un moment, importantes.

Nous passâmes par Livry, Vaujours, Villeparissis, Claye-Souilly, Messy. A chaque nom de village, nous avions droit à une répartie cocasse de notre compagnon d’un jour. Celui-ci ne tarissait pas d’anecdotes sur les endroits, un membre de sa famille qui habitait le coin, une fille rencontrée à l’occasion d’un bal, un client transporté, etc.… Le temps passa, les kilomètres défilèrent dans la nuit, sous nos yeux enchantés de tant de nouveautés inattendues.

Puis nous traversâmes Saint-Mesmes, Nantouillet, Juilly, Saint Mard, Dammartin, jusqu’au carrefour de la RN2 et de la RD34. Il était alors environ deux heures du matin en ce 8 septembre 1914. Et nous ne savions pas que la bataille de retournement avait commencé depuis le 6.

Marne 1914

A l’embranchement choisi par l’Etat-major, Raoul et ses camarades comprennent qu’ils ne sont pas le seul convoi, et qu’une autre colonne de taxis transporte le 104ème dans la même direction que la leur. Le 103ème sera déposé à Silly-le-Long, et le 104ème aux portes de Nanteuil-le-Haudouin, tous deux près de la zone des combats.

Après plus d’un mois de retraite, les positions de replis voulues par Joffre sont atteintes. L’armée française et la B.E.F amorcent la contre-offensive sur la Marne, font volte-face, et surprennent les troupes allemandes, imprudemment avancées à l’est de Paris.

« Faites-moi signe après la guerre, quand tout sera fini, et qu’on aura rejeté ces cochons de boches chez eux ! Cherchez moi Place de l’Opéra, c’est là que je me tiens. N’oubliez pas, Alfred Bertault, c’est mon nom, je vous ferai visiter Paris gratuitement ! »

Les troupes ainsi engagées (6000 hommes) ne suffiront pas à faire pencher le sort de la bataille pour la victoire, eu égard au nombre considérable de soldats des armées en présence. La 7ème DI a juste le temps d’être positionnée pour prendre part à la contre-offensive sur l’Ourcq. Les Allemands, surpris sur leur flanc droit par l’armée de Maunoury, sont obligés de livrer bataille sur un terrain qu’ils n’ont pas choisi. Pour éviter d’être à leur tour contournés, et éviter l’encerclement, ils amorcent un repli stratégique, et repassent la Marne. Il s’ensuit alors une retraite générale de toutes les forces germaniques. Le Miracle de la Marne vient de s’accomplir. Cette action unique et stratégique de Gallieni a redonné un peu d’espoir aux soldats français, et à la France tout entière. L’épopée des Taxis de la Marne va devenir un symbole de l’unité et de solidarité nationale, et magnifier la fierté des civils qui y ont participé. Tout au long du conflit, beaucoup de chauffeurs non mobilisables iront près des zones de combats se porter volontaires aux transports des blessés. Certains y laisseront leur vie.

Infanterie française

Raoul Laurentin participe aux combats à l’image de ses camarades ; il est épuisé, mais il sort de cet engagement indemne. Tout au long de la guerre, il participe à plusieurs batailles. Il est blessé à Verdun par un éclat d’obus à la tête. Rapatrié à Paris à l’hôpital du Val de Grâce, il y est soigné avec tous les égards dus à un vétéran des Taxis de la Marne. Les 103ème et 104ème RI sont devenus célèbres dans les mémoires. Renvoyé au casse pipes, il continue le combat jusqu’au jour de sa démobilisation, le 23 février 1919. Comme il l’a promis, il se met en quête de retrouver Alfred et son taxi. Après de longues recherches infructueuses, il découvre que celui-ci a été tué lors d’un transport de blessés en décembre 1917, près de Meaux.

Le dernier des conducteurs des Taxis de la Marne mourra en 1985. Il s’appelait Kléber Bernier.

Casque Adrian de l’infanterie française modèle 1915

Publié précédemment : « Du sang sur les bleuets » Éditions Volume.

Avec tous mes remerciements au service des archives de la ville d’Aix en Provence.

Pickelhaube

Cette nouvelle est une fiction, toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé ne serait qu’une pure coïncidence. Seuls les événements historiques sont authentiques.

Lire dans la même collection Prochainement

Malgré moi

Une source en enfer

A Journey to Gallipoli – L’embarquement

A Journey to Gallipoli – Terminus Gaba Tépé

Nuages Flamands

Une journée sur le front

« Le Zeppelins : a Stairway to hell ! »

La plume blanche

Les taupes de Cardiff

On garde le moral

 

Lire :

La bataille de la Marne

Sources :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_la_Marne_(1914)

Photos publiques Facebook

1914-1918 La Grande Guerre, Editions ALP/Marshall Cavendish, 1997/1998

14-18 Le magazine de la Grande Guerre, N°1 à 34 de 2001 à 2006

C’était la guerre des Tranchées, Tardi, Editions Casterman

Le Chemin des Dames, Pierre Miquel, Editions Perrin 1997

Mourir à Verdun, Pierre Miquel, Editions Tallandier 1995

Les mutineries de 1917, documentaire TV de Pierre Miquel

Paroles de Poilus, Editions Tallandier 1998

La première guerre mondiale, Suzanne Everett, 1983

Frères de tranchées, Marc Ferro, Editions Perrin 2005

Tous mes remerciements au services des archives de la ville d’Aix en Provence.

 

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