Le Chemin des Dames
Le Chemin des Dames
Du 16 avril au 24 octobre 1917
« Offensive Nivelle »
Situation
La bataille du Chemin des Dames, appelée aussi « seconde bataille de l’Aisne » pendant la Grande Guerre, débute le 16 avril 1917 à 6 heures du matin. L’objectif est de rompre le front allemand entre Soisson et Reims vers Laon.
Un nouveau chef
En décembre 1916, alors que la bataille de Verdun vient de prendre fin, le général Nivelle remplace Joffre à la tête des armées. Ce dernier, malmené en Artois par l’échec de ses offensives en 1915, et sur la Somme en 1916, vient d’être élevé au maréchalat. Tous les regards se portent maintenant sur Nivelle, qui vient de conclure avec brio dix mois d’une bataille sur la Meuse, au coût humain catastrophique. Il promet aux dirigeants politiques une rupture du front, par une percée brutale et spectaculaire en 24 ou 48 heures. Le secteur choisi pour la bataille, qui se doit d’être décisive, est le Chemin des Dames, dans le département de l’Aisne.
Le plan français
Aussitôt, il reprend le projet de Joffre, qui consistait en une attaque conjointe avec l’allié britannique sur une partie du front, comprise entre Vimy et Reims. A cet endroit les premières lignes forment un angle droit. L’attaque anglaise sera orientée nord-sud, entre Vimy et Soissons.
L’offensive française se fera dans la direction ouest-est, entre Soissons et Reims. L’objectif est d’affronter l’ennemi suivant deux directions différentes. Pour cela, il faut à Nivelle concentrer un maximum de forces dans cette zone, afin de pouvoir enfoncer les lignes allemandes et espérer une percée. Une telle organisation ne peut pas passer inaperçue. L’ampleur du projet ne permet pas de garder le secret sur les préparatifs titanesques que nécessitent les besoins d’une telle bataille. Ce qui n’échappe pas aux observateurs allemands.
Du 15 au 19 mars 1917, ces derniers se replient sur une nouvelle ligne que les Français baptisent ligne Hindenburg, alors que son vrai nom est ligne Siegfried. Ils réduisent ainsi leur front de soixante-dix kilomètres, et économisent par la même occasion de nombreuses divisions ; c’est l’opération Albérich. La partie du front qui formait, au préalable, un angle droit, disparait dans le mouvement de repli allemand. Il en résulte une modification sensible des lignes de défenses. Elles s’étendent désormais dans une direction nord-ouest/sud-est, de Vimy à Reims, en traversant le Chemin des Dames. Il faudra une semaine aux Alliés pour évaluer l’importance de l’opération Albérich, orchestrée de main de maître par les Allemands.
Une telle manœuvre réduit à néant le projet de Nivelle ; il lui faut tout repenser avec le concours de ses alliés britanniques. L’attaque sera dissociée, les Anglais fixeront leurs efforts sur Vimy, et les Français concentreront les leurs sur le Chemin des Dames.
L’opération albérich
- Alberich est un nain malicieux, sorcier légendaire de la mythologie germanique.
- Siegfried, c’est aussi le personnage d’un opéra de Wagner qui possédait le don de devenir invisible.
Dès la mi-février, la population comprise dans le saillant concernant la zone de repli, est évacuée par les troupes allemandes. La ligne de front recule et se positionne sur la ligne Hindenburg, dotée de puissantes et inextricables fortifications retranchées. Les habitants du secteur ne doivent emporter qu’une valise par personne. Les hommes valides et les femmes sans enfants sont déportés, et transportés par voie ferrée vers la ville d’Hirson, dans le nord de l’Aisne, afin d’y travailler pour la machine de guerre allemande. Une méthodique organisation de destruction se met en place avant le repli. Les troupes germaniques pillent, saccagent et minent tous les villages de la contrée. Les maisons sont détruites, les puits empoisonnés, les arbres fruitiers sont coupés, ce qui soulèvera une vague d’indignation chez les poilus, en majorité paysans. Il en sera de même pour le château de Coucy qui sera dynamité ; rien ne doit subsister et être utilisé par les Français.
L’Etat-major français ne se doute pas un seul moment des inconvénients tragiques de ce retrait volontaire. Il pense, à tort, à une débandade de l’ennemi, et le perçoit comme un signe de faiblesse. De plus, les services de renseignements n’ont pas évalué d’une manière précise les nouveaux retranchements allemands. En outre, le dispositif français n’a que quelques jours pour réaménager le secteur de l’offensive, dont les fondements viennent d’être modifiés par le plan Albérich. Dès les premiers jours d’avril, les Allemands, qui ont mesuré avec justesse la puissance du dispositif français, connaissent distinctement le lieu de l’attaque. Il n’y aura pas d’effet de surprise ; les Français sont attendus.
Les Forces françaises en présence
Le général Nivelle est à la tête des opérations. Il a à sa disposition le Groupe d’Armée de Réserve du général Micheler qui se compose ainsi :
- La 5ème Armée, sous les ordres du général Mazel. Elle comprend 16 divisions d’infanterie réparties en 5 corps, une division de cavalerie, deux brigades russes et environ 200 chars d’assaut répartis en 5 groupes.
- La 6ème Armée, sous les ordres du général Mangin. Elle compte 17 divisions d’infanterie réparties en 5 corps, une division de cavalerie et une division territoriale. Elle est également composée de troupes coloniales (troupes de choc) constituées de tirailleurs sénégalais et zouaves.(Lire la nouvelle « On garde le moral », extraite du livre « Des Poppies et des larmes » de Jean-Marie Borghino).
Les troupes africaines ont pour objectif le secteur le plus stratégique du plateau, au niveau de l’isthme d’Heurtebize, face à la Caverne du dragon. Le premier jour de l’assaut, 6000 mourront sur les 15 000 Africains engagés.
- La 10ème Armée, sous les ordres du général Duchêne, constituée de 9 divisions d’infanterie, est en réserve
- La 4ème Armée du général Antoine, aussi en réserve, est forte de 5 divisions d’infanterie
- Le 2ème Corps d’Armée coloniale est sous les ordres du général Blondlat.
Cette force se compose d’environ 850 000 hommes ; elle dispose en outre, de 2700 pièces d’artillerie de canons de 75, et de 2300 mortiers lourds dont 790 canons modernes.
Du côté allemand
Le feld-maréchal Paul Von Hindenburg est à la tête du Haut-Commandement allemand. La direction des opérations en France est déléguée à son subalterne le général Erich Ludendorff.
- A la tête de la 1ère armée se trouve le général Fritz Von Below.
- La 7ème armée est commandée par le général Max Von Boehn.
Toutes deux sont sous les ordres du Kronprinz.
- La 3ème armée est sous le commandement du général Karl Von Einem.
Au total, 41 divisions de 16 650 hommes chacune, pour un effectif global de 682 650 soldats.
Les chars d’assaut. (Le mark I)
C’est le 15 septembre 1916, lors de la Bataille de la Somme, que les premiers chars d’assaut britanniques Mark I font leur apparition. Ils participent à la prise de Courcelette, Martinpuich, du bois des Foucaux et du village de Flers. Les soudaines irruptions de ces monstres d’acier épouvantent les fantassins allemands, tapis de frayeur dans leurs tranchées.
Lors de la construction des Mark I, soucieux de conserver le secret, les Anglais les nomment « water carriers » (porteurs d’eau), en annonçant qu’ils sont destinés au ravitaillement en eau des troupes russes. De par la forme rhomboïde de leur caisse, qui ressemble à une citerne, ils reçoivent finalement le nom de tank. (Lire la nouvelle « on garde le moral » extraits du livre « Des Poppies et des larmes » de Jean-Marie Borghino.
Les chars français
Dès 1915, sous l’impulsion du colonel Jean-Baptiste Etienne, un prototype de tank de la société Schneider, le CA1, est proposé au président de la république Raymond Poincaré. Le premier modèle à être présenté, le tracteur A, est le Saint-Chamond, mais des divergences opposent les deux constructeurs qui vont développer chacun leur propre char. Les démonstrations étant convaincantes, les fabrications de masses peuvent commencer.
Caractéristiques du char d’assaut Saint-Chamond :
- Equipage : 9 hommes.
- D’une longueur, canon compris, de 8.7 m, d’une largeur de 2.7 m, d’une hauteur de 2.4 m, pour une masse au combat de 23 tonnes.
- Son blindage est compris entre 11 et 19 mm.
- Armement principal, Canon de 75mm Saint-Chamond L12CTR.
- Son armement secondaire comprend 4 mitrailleuses Hotchkiss de 8mm.
- Il est doté d’un moteur essence 4 cylindres Panhard et Levassor. D’une transmission électrique Crochat-Colardeau.
- Puissance 90cv à 1450 tr/min.
- Sa vitesse est de 10km/h sur route, et de 3 km/h sur terrain accidenté.
- Autonomie : 250 l d’essence pour 7 à 8 heures de marche.
Caractéristiques du char d’assaut Schneider CA1 :
- Equipage : 6 hommes.
- Longueur : 6.32m, largeur : 2.05m, hauteur : 2.30m, pour une masse au combat de : 13.6 tonnes.
- Un blindage de 11.5 mm.
- Son armement principal est d’un canon de 75mm Schneider court (d’une capacité de 90 obus, et d’une portée de 600m, précis à 200m).
- Son armement secondaire : 2 mitrailleuses Hotchkiss 8mm (une sur chaque flanc).
- Un moteur Schneider 4 cylindres, d’une puissance de 70cv, et d’une suspension à ressorts hélicoloïdaux.
- Vitesse : 5 à 6 km/h sur plat et 2 à 3 km/h sur terrain accidenté.
- Autonomie : 48 km/h, pour 7 heures de marche.
Préparation de l’assaut, du 6 au 16 avril 1917
Entre le 6 et le 16 avril, 5 millions d’obus sont tirés sur les positions allemandes, dont 500 000 de gros calibres ; l’artilleur Nivelle pense avoir bien fait sa préparation. De plus, deux offensives de diversion alliées sont menées dans les jours qui précédent l’offensive : le 9 avril par les Britanniques et les Canadiens entre Arras et Vimy et le 13 par les Français face à Saint Quentin. Un million d’hommes se préparent à l’assaut, dont 10 000 tirailleurs sénégalais et 20 000 Russes.
L’attaque 16 avril, 6 heures du matin
« L’heure est venue, confiance, courage et vive la France ! », Robert Georges Nivelle.
Ce printemps 1917 est froid et pluvieux. Il y aura même des chutes de neige le 16 avril, jour du début de l’offensive. Les tirailleurs sénégalais, qui se sont entraînés dans le midi, ne sont pas aguerris à de telles conditions météorologiques. Beaucoup souffrent du gel. Le terrain est rendu difficile par les averses de pluie discontinues, qui transforment la quasi-totalité du secteur en un cloaque boueux. En outre, le mauvais temps rend la préparation d’artillerie imprécise, et les positions ennemies ne sont pas entièrement atteintes.
L’infanterie s’élance par un temps glacial ; la longueur du front s’étend sur 40 kilomètres et c’est tout de suite un échec… Partout les nids de mitrailleuses allemandes, sous abri, se découvrent et fauchent les hommes. L’infanterie est hachée méthodiquement ; c’est de toutes parts un massacre, sur le Chemin des Dames comme dans la plaine champenoise. Pour la première fois, les chars d’assaut français prennent part à la bataille. Ceux-ci sont engagés dans le secteur de Berry-au-Bac ; leur première intervention s’avèrera être un désastre. Sur les 128 chars qui ont pris part au combat, 57 sont détruits, 64 tombent en panne ou s’enlisent. Cette nouvelle arme est trop lente, trop lourde (4km/h) et s’embourbe facilement. Ces monstres d’acier deviennent des cibles de choix pour les artilleurs allemands, d’autant que leur réservoir d’essence n’est pas blindé et souffre d’une protection insuffisante. Les pertes sont sévères là aussi : 33 officiers et 147 soldats sont tués.
Poursuite de l’offensive
Malgré l’échec cuisant, Nivelle persiste. La percée tant attendue tarde à se concrétiser ; en vérité, elle ne se fera pas. Après une relance de l’offensive le 5 mai, le constat de la défaite est probant trois jours plus tard. Le 15 mai, Nivelle est limogé, et Pétain prend la tête de l’armée française.
Détail de l’offensive du 16 avril au 24 octobre 1917 :
- Le 17 avril, le fort de Condé et le village de Braye-en-Tardennois sont pris par les troupes françaises.
- Du 18 au 21 avril, attaque de la 10ème armée de réserve, entre Craonne et Heurtebise.
- Le 20 avril, suspension provisoire de l’offensive.
- Le 22 avril, bataille des Observatoires
- Le 22 avril arrêt de l’offensive.
- Le 29 avril, le général Mangin est relevé de son commandement.
- Le 30 avril, reprise de l’offensive sur les Monts de Champagne.
- Le 4 mai, attaque du village de Craonne, le rebord du plateau de Californie tombe aux mains des Français.
- Le 5 mai, les Français prennent pied sur le plateau. Le même jour, la 10ème armée attaque les plateaux de Vauclair et des Casemates. En même temps, une offensive est lancée par le 1er Corps d’armée coloniale qui s’empare des ruines du moulin de Laffaux.
- Le 8 mai, nouvelle suspension de l’offensive.
- Le 15 mai, Le général Pétain remplace Nivelle. Premiers actes de désobéissances parmi la troupe.
- Du 20 mai à fin juin, les Mutineries affectent une grande partie du front, environ 150 unités. Les soldats au repos, refusent d’être considérés comme de la « chair à canon » et ne veulent plus remonter en ligne se battre.
- Le 4 juin, les offensives sont ajournées pour cause de mutineries.
- Pendant la seconde quinzaine de juin, les Allemands ayant eu connaissance des actes de rébellion dans l’armée française, passent à l’attaque.
- Le 25 juin, les Français s’emparent de la Caverne du Dragon pour contrôler les sommets du Chemin des Dames, c’est le début de la bataille des observatoires.
- Le 24 octobre, victoire de La Malmaison.
Condamnations suite aux Mutineries
- 3427 condamnations furent prononcées dont 554 à mort, 43 mutins seront exécutés.
La commission d’enquête dirigée par le Général Henri Joseph Brugère, acquittera Nivelle et le mutera, plus tard, à Alger. Brugère spécifiera dans son rapport que « Pour la préparation comme pour l’exécution de cette offensive, le général Nivelle n’a pas été à la hauteur de la tâche écrasante qu’il avait assumée ».
Bilan
L’offensive du Chemin des Dames est considérée comme une grave défaite stratégique. Les Français, bien qu’ils aient conquis quelques positions ennemies et détruit des forces allemandes immenses, n’ont pas atteint leurs objectifs initiaux. Les Allemands, affaiblis, ont épuisé leurs réserves, mais ont résisté. L’arrêt des combats va s’avérer catastrophique pour la suite de la guerre. Les Allemands, très malmenés, vont se reprendre, et se retourner vers l’Est contre les Russes, pour leur porter des coups définitifs. Les Russes, battus, se retireront alors de la guerre et signeront avec les Allemands, le 3 mars 1918, le traité de Brest-Litovsk.
Pertes
Pour les Français :
187 000 victimes (morts ou blessés)
Pour les Allemands :
163 000 victimes (morts ou blessés)
1 réponse
[…] lui aussi à l’épaule, quatre jours après moi, lors de la contre-offensive Mangin sur le Chemin des Dames. Lui aussi se remettait correctement de ses plaies. Nul doute qu’une fois rétablis, chacun de […]