Les pieds Nickelés pendant la Guerre
par Jean Marie Borghino · 11 juin 2014
Les pieds Nickelés pendant la Grande Guerre
L’auteur
Il y a un peu plus de 80 ans mourait Louis Forton, un des pionniers de la bande dessinée française. Il est notamment le créateur, en 1908, des célèbres Pieds Nickelés, et en 1928, de Bibi Fricotin. En 1908, il devient le principal dessinateur de l’Epatant, dans lequel les trois compères farceurs évolueront à partir du 9ème numéro. Pour cette série, il illustrera, au total, 1948 planches. Il usera de pseudonymes divers, comme Tom Hatt, Tommy Jackson, W. Paddock dans l’American illustré, mais aussi Piccolo dans l’Epatant ou Le Petit illustré. Avec le centenaire du début de la Première Guerre Mondiale, il était temps de lui rendre hommage en le faisant sortir de l’oubli !
Avec ses deux chefs d’œuvre que sont Les Pieds Nickelés et Bibi Fricotin, Forton va régner en maître dans le monde de la bande dessinée durant le premier tiers du 20ème siècle. Leur parution hebdomadaire, le jeudi, va ravir toute une génération de gamins en culottes courtes. Avec Les Pieds Nickelés, Forton invente le magazine d’illustrations populaires, celui du peuple des banlieues et des faubourgs, des Titis parisiens et autres Gavroches. Son inspiration est en totale opposition à la bourgeoisie bien pensante, qui trouve davantage son plaisir dans les aventures invraisemblables de Bécassine. Les Pieds Nickelés, c’est avant tout le système D (comme débrouillardise), et magouille (avec un grand M). C’est aussi une cascade de farces, d’entourloupettes, et de malices en tout genre.
Avec Forton, on fait une descente abrupte dans l’irrespectueux ; il se moque et ridiculise les travers de la 3ème République, celle des profiteurs de toutes espèces. Les parvenus, les nouveaux riches et les niais sont ses cibles de prédilection. Personne n’échappe à son trait de plume, il y en a pour tout le monde. On voit donc que notre trio d’inséparables amis a du pain sur la planche, et qu’un large horizon s’offre à eux. Des aventures faites de calembours et de bêtises de tous poils s’annoncent toutes aussi croustillantes les unes que les autres !
En ce temps là, on disait de quelqu’un qu’il avait les « pieds nickelés » lorsqu’il les trouvait trop beaux pour les poser sur le sol… De toute évidence, l’on faisait référence à un fainéant, ou un flemmard ! Cette expression, familière durant la 1ère Guerre Mondiale, est tombée dans les oubliettes après le conflit, pour être complètement oubliée de nos jours.
Ribouldingue Filochard et Croquignol en 1914
Une fois de plus, propagande oblige, tous les moyens sont bons pour canaliser les âmes vives de la nation vers l’effort de guerre. Alors, pourquoi ne pas s’adresser à toutes les couches de la population, en faisant passer des messages patriotiques dans les illustrés et bandes dessinées pour enfants ?
C’est avec l’avènement de la Grande Guerre, que nos trois inséparables amis vont faire valoir toute l’étendue de leur panoplie de roublardises et de malices en tout genre. Leur ascension auprès du public, en majorité des jeunes, ne va cesser de s’accroître. Ils vont se positionner en champions de la lutte contre le « boche » exécré. Leur personnalité, avec le conflit qui s’annonce, va prendre un nouvel essor. Ils vont être les représentants des valeurs populaires françaises d’habileté, de créativité et de débrouillardise, en se servant continuellement du « système D.» Evoluant derrière les lignes allemandes, sous de multiples artifices, ils dupent régulièrement les « boches » à outrance, les considérant comme des primitifs faciles à mystifier.
Recrutement
En tous bons Français et fiers de l’être, les trois amis endossent la jaquette bleue et le pantalon rouge garance du soldat de 14, et s’engagent pour aller défendre la patrie. Mais ils vont comprendre tout de suite que les aspects de cette guerre ne correspondent pas à ce qu’ils ont envisagé. D’ailleurs les charges « baïonnette au canon » ne sont pas du tout du goût de nos trois acteurs. Ils vont donc mettre en œuvre de nouveaux moyens de taper sur le « boche », en le ridiculisant et en le décourageant. C’est alors que Forton déploie tout son savoir et étale une succession de gags d’anthologie comiques. Il invente, par exemple, un aspirateur géant, et utilise des boules puantes pour que les Allemands abandonnent leurs positions. Autant de situations burlesques qui ravissent les lecteurs jusqu’aux poilus dans les tranchées, puisque l’Epatant s’imposera comme le journal le plus lu sur le front.
Les Pieds Nickelés entrent en Guerre
Avant l’année 14, les Pieds Nickelés jouaient des tours pendables au Kaiser et au roi Edouard VII, entre autres, mais ce n’étaient que des gags comiques et blagueurs ; les caricatures étaient bon enfant. Avec le début du conflit, l’accent va se transformer. Les trois complices, qui avaient jusqu’alors des déconvenues et des misères de fortune, vont se transfigurer et apparaître comme les bourreaux des « boches », civils et militaires. Ils vont s’attaquer à tous les niveaux de la hiérarchie, qu’ils soient anonymes ou personnalités de haut rang ; tous seront tournés en dérision, notamment Von Tirpitz, le Kronprinz et bien évidemment le Kaiser, leur tête de turc de prédilection.
L’élan patriotique
L’Epatant a participé pendant la Guerre de 1914-1918 à l’impulsion patriotique et donc à la propagande « anti-boche ».
Le n°334 du 10 décembre 1914 représente le premier tirage de guerre. L’encadré ci-dessus nous éclaire sur les prémices de l’implication de l’Epatant. D’ailleurs, le 21 janvier 1915, le titre du numéro suivant, Les Pieds Nickelé s’en vont en guerre, est très explicite. Dès lors, la série sera publiée en noir et blanc… Pénurie oblige ??
Le prix du sang
A l’approche du centenaire de la Grande Guerre et de ses commémorations, il est nécessaire de se souvenir, et de transmettre aux générations actuelles le prix du sang versé par nos anciens. Notre devoir de mémoire nous l’impose, il ne faut pas oublier. Avec ses millions de morts, la Guerre de 14-18 a marqué durablement les esprits des générations qui se sont succédées. Elle fut d’une incroyable violence : le monde de l’époque n’avait jamais connu pareille boucherie. Il se développa durant quatre années un immense élan patriotique, qui a traversé la nation de part en part, toutes couches sociales confondues. La BD a fortement participé à canaliser cet engouement vers l’effort de guerre. Ne nous y trompons pas, les jeunes comme les adultes ont trouvé dans ces journaux illustrés, une motivation commune pour concentrer leur haine de l’ennemi. Et des personnages atypiques tels que l’Espiègle Lili, Bécassine et même les Pieds Nickelés, ces farouches anarchistes qui se lancent dans la mêlée tête baissée contre le « boche », n’ont fait que renforcer ce souffle national. Certes, les tirages se sont accrus et ces publications ont fourni une opportunité à leurs concepteurs, mais nous ne pouvons douter un seul instant du patriotisme sincère qui les animait alors.
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