L’apothicaire, négociant et savant du Moyen Âge
CHRONIQUES MÉDIÉVALES
L’APOTHICAIRE, NÉGOCIANT ET SAVANT
SOMMAIRE
C’était en fait l’ancêtre du pharmacien actuel (« Apothecarius » signifie en latin « boutiquier »). Il préparait et vendait des breuvages, baumes et autres médicaments pour les souffrants. A cette époque, la médecine n’étant pas une science exacte, l’apothicaire subvenait par sa fonction aux besoins des XIIIème et XIVème siècles. La boutique de l’apothicaire représentait l’élément qui démarquait le commerçant sérieux du charlatan itinérant. Au XVIIIème siècle, la profession s’émancipe, et à partir du XIXème siècle, l’apothicairerie laissera progressivement sa place à la pharmacie.
LES APOTHICAIRES DURANT L’ANTIQUITÉ
Il semblerait que le métier d’apothicaire remonte à 2600 av. J.-C. A Sumer (région antique, située à l’extrême sud de la Mésopotamie antique, dans l’actuel Irak), on a trouvé des écrits médicaux mêlés à des incantations pieuses.
Ces textes apparaissent sur deux tablettes d’argile dont les cunéiformes évoquent des indications, des prescriptions et des notes pour les accommoder.
Le Papyrus Ebers de l’Égypte ancienne (écrit autour de 1500 av. J.-C., un des plus anciens traités médicaux connus) possède plus de 800 prescriptions, et cite plus de 700 médicaments distincts.
En Grèce antique, Dioscoride (médecin, pharmacologue et botaniste grec) rédige son traité de « materia medica » vers 60 apr. J.-C. Il donne une base scientifique et critique aux pharmacopoles (marchand de drogues, charlatans) qui fabriquent et vendent leurs produits chimiques aux médecins (les plantes médicinales sont, quant à elles, préparées par des herboristes).
LES APOTHICAIRES AU MOYEN ÂGE
Jusqu’en 640 (date de la destruction de la bibliothèque d’Alexandrie), les apothicaires sont essentiellement ambulants et considérés comme des charlatans.
Dès l’an 754, à Bagdad, sous le califat abbasside, des boutiques d’apothicaire tenues par des pharmaciens arabes sont présentes.
On trouve aussi des apothicaires dans l’Espagne musulmane dès le XIème siècle. Ils utilisent notamment des « grabadins », antidotaires arabes (recueil médiéval de recettes de médicaments).
Dès le Vème siècle, Cassiodore recommande aux monastères et couvents de disposer d’un apotecarius assurant la fonction de médecin et de pharmacie.
Les connaissances pharmaceutiques antiques sont véhiculées en Occident grâce aux médecins arabes, qui innovent avec de nouveaux médicaments adoucissants (sirops, loochs, juleps).
La société féodale connaît alors d’importantes modifications sociales. Les marchands et artisans de certains métiers prennent l’habitude de se regrouper dans des associations héritières des guildes nordiques, appelées « corporations ».
Seuls les apothicaires vendent du sucre et appartiennent à la corporation des épiciers.
La formation de l’apothicaire est dans ses débuts exclusivement pratique. Elle consiste en un long apprentissage de manipulations nécessaires pour réussir les préparations. Les maîtres apothicaires se chargent, dans leur apothicairerie, de l’instruction des candidats pour accéder à la maîtrise. Ceux-ci doivent avoir des connaissances en latin et en grammaire. Il est vital de pouvoir lire les formulaires et les ordonnances des médecins. L’apprentissage dure en moyenne quatre ans, et de trois à dix ans de compagnonnage.
Des communautés d’apothicaires se constituent ; elles seront à l’origine du caractère réglementé des pharmacies aujourd’hui.
À l’origine, ces communautés se différenciaient mal de celle des médecins. Il faudra attendre l’édit de Salerne décrété par Frédéric II en 1241.
Cet acte sépare juridiquement les deux corporations, en devenant celui de naissance de la profession d’apothicaire.
De nouvelles fonctions se verront ainsi progressivement attribuées aux apothicaires, comme le contrôle des marchandises et la surveillance des poids et mesures.
Jaloux de ses privilèges, conscient de la noblesse de sa fonction, veillant à se démarquer d’autres professionnels, membre d’une corporation influente et détenteur de drogues rares et prestigieuses, l’apothicaire du XVIème siècle est vu comme un notable bourgeois. Par exemple, la vente du tabac en poudre est l’exclusivité des apothicaires.
Un célèbre apothicaire du XVIIIème siècle fut Antoine Parmentier, qui dirigea l’apothicairerie de l’hôtel des Invalides.
Elizabeth Garrett Anderson, apothicairesse connue, fut membre de la Vénérable société des apothicaires de Londres.
Lire: Les Témoins du Passé, le château de Tarascon
UN PHARMACIEN AU MOYEN ÂGE
En 1258, Saint Louis (Louis IX) accorde un statut particulier à tous ceux qui préparent et font commerce des drogues et autres médicaments. Dès lors, les premières boutiques d’apothicaires voient le jour.
En 1350, un siècle plus tard, ces négociants, dont les aptitudes médicales sont sérieuses, vont bénéficier, grâce aux Croisades, de l’ajout d’une grande variété d’épices venues d’Orient.
Lire : répertoire des Croisades http://jeanmarieborghino.fr/repertoire-des-croisades/
Qu’il soit bonimenteur, médecin ou épicier, l’apothicaire s’affiche avant tout comme un maître en matière d’élixir à une époque où s’entremêlent couramment science, magie et sorcellerie.
Au XIVème siècle, les apothicaires doivent non seulement passer des examens pour exercer leur métier, mais aussi prêter serment.
En 1484, Charles VIII décrète une ordonnance stipulant que « doresnavant nul espicier de nostre dicte ville de Paris ne s’en puisse mesler du fait et vacation d’apothicairie si le dit espicier n’est lui-même apothicaire ». Il dissocie ainsi clairement les épiciers des apothicaires.
En 1514, l’ordonnance de Louis XII atteste de la supériorité des apothicaires (« Qui est épicier n’est pas apothicaire, qui est apothicaire est épicier »).
En 1560, celle de François II réunit les deux professions dans la même corporation, ce qui déclenchera de nombreux conflits entre les deux partis.
Le 24 octobre 1691, une déclaration royale de Louis XIV séparera les deux corps qui, constatant le manque à gagner engendré par cette décision, la feront abroger six mois plus tard.
DES OFFICINES AUX SCIENCES APPROXIMATIVES !
Faisant partie de la corporation des épiciers, les apothicaires vendent pèle mêle du sucre, de la cannelle, des herbes, et des objets magiques aux vertus bénéfiques. Ils préparent eux-mêmes leurs décoctions, infusions, onguents de beauté (très recherchés) et élixirs (encore plus prisés).
Leurs échoppes sont de véritables cavernes d’Ali Baba, et abritent une multitude de trésors médicaux capables de guérir tous les maux de la terre. A condition d’y mettre le prix, de ne pas s’évanouir et de ne pas avoir la nausée.
Toutes ces préparations sont constituées à base de plantes médicinales, dont la connaissance est perpétrée depuis des lustres par les moines. Mais beaucoup sont élaborées avec des humeurs et des organes d’animaux : on cite yeux de grenouilles, larmes de cerf, vessies de pourceau, limaces, fientes de crocodile et de lézard, cloportes, ou cervelles de sanglier.
On ne compte plus le nombre de philtres d’amour ou de jeunesse qui ont été réalisés dans ces échoppes !
Durant cette période obscure du Moyen Âge, les plantes sont parfois utilisées à l’encontre de leur vertu initiale pour devenir les armes du mal. C’est ainsi que la malheureuse Jeanne d’Arc sera rendue coupable, presque un siècle plus tard, d’avoir « tourmenté les Anglais par la force magique d’une racine de mandragore dissimulée sous sa cuirasse ».
Certaines de ces herbes maléfiques, comme la « jusquiame noire » et la « belladone », sont considérées elles aussi comme des plantes d’origine satanique. Pour le petit peuple, crédule, il n’en faut pas plus pour croire en toutes ces vertus démoniaques.
La thériaque (du grec « thèr » qui veut dire « bête sauvage ») est un élixir rare très demandé pour soigner les morsures de bêtes sauvages. On la prépare avec de la chair de vipère, qu’on incorpore à une cinquantaine d’autres substances animales, végétales et minérales. Tout est réduit en bouillie et mélangé à du miel et à du vin de grenache.
DANS LA CAVERNE DE L’APOTHICAIRE !
Les apothicaires doivent malgré tout se plier aux règlements royaux. Ceux-ci leur interdisent de faire commerce de drogues dangereuses, et leur imposent surtout de savoir lire les ordonnances des médecins.
En effet, la majorité du travail des apothicaires se borne à préparer des remèdes efficaces et infaillibles pour guérir les maux, même les plus superficiels.
Dans l’échoppe qui est ouverte et donne sur la rue, des apprentis pilent des substances dans un mortier, pendant que d’autres tamisent, réchauffent dans un chaudron, ou distillent dans des alambics.
Pendant ce temps, l’« épicier », l’apothicaire, préparent les commandes et pèsent les remèdes. Afin de mieux conserver ces potions, baumes, et autres onguents, ils utilisent des pots en terre, en bois, en céramique ou en étain.
Placés sur les étagères, bien ordonnés, sont rangés les canules, seringues et autres « biberons » (petits récipients dotés d’un bec verseur). Tous ces instruments insolites serviront à prélever, injecter, et mélanger les différentes substances qui entreront dans la composition du médicament.
Sources :
Mes photos
Photos publiques Facebook
Les rois de France des Éditions Atlas (Valois directs).
https://fr.wikipedia.org/wiki/Apothicaire
Cher auteur de l’article sur l’apothicaire, négociant et savant du Moyen Âge, je tiens à vous féliciter pour la qualité de votre travail et pour l’intérêt que vous portez à ce métier méconnu. Votre article m’a permis d’en apprendre plus sur les différentes facettes de ce métier et j’ai particulièrement apprécié les anecdotes historiques que vous avez partagées. Je suis curieux de savoir si vous avez eu l’opportunité de visiter des ateliers d’apothicaires du Moyen Âge lors de vos recherches. Encore une fois, merci pour cet article passionnant !