La guerre d’Antonin
LA GUERRE D’ANTONIN
Une nouvelle de mon livre, « des poppies et des larmes »

« FRIEDENSTURM »
4ème BATAILLE DE CHAMPAGNE

Renault FT 17
Les Soviétiques à l’Est négocient une paix séparée au détriment de l’Entente. La huitième armée allemande est rapatriée à l’Ouest pour porter le dernier coup contre les Alliés. Le 21 mars 1918, un ouragan de feu et d’acier bouscule l’armée britannique en Picardie et l’oblige à la retraite. Ludendorff vient de déclencher son ultime coup de boutoir avec la première de ses cinq offensives, l’opération « Saint-Michel ». Suivront en avril celle de « Georgette », puis en mai -juin celle de « Blücher », en juin celle de « Villers-Cotterêts », et enfin celle de « Friedenstürm » en juillet.
Soldat Antonin Delhomme, matricule 19 733
13ème Corps d’armée,
25ème DI, 50ème brigade, 16ème RI, puis 98 RI, puis 16ème RI de Tirailleurs sénégalais.
Je m’appelle Antonin Delhomme. Je suis né le 12 novembre 1899 au Chambon-Feugerolles, près de Saint-Etienne, dans le département de la Loire. On était nombreux de la classe 1919 comme moi ; j’allais avoir 20 ans.

Antonin Delhomme
Au mois d’octobre dernier (1917), le régiment se trouvait dans le secteur de Vauquois (en bordure orientale du massif de l’Argonne). Un endroit du front qui était devenu calme après la terrible guerre des mines qui y eut lieu en 1915.
On savait très bien que la guerre n’était pas finie, et que ce temps de repos n’allait pas durer éternellement.

Casque français Adrian
Uniforme du fantassin français en 1916 – Un casque Adrian, version 1916. Casque Adrian version 1916 – Un uniforme bleu horizon, modèle 1915. – Un jeu de dames, cartonné et pliant. – Une montre gousset, dans un boîtier de protection. – Une cartouchière en cuir – Une boîte de bonbons à la menthe. – Une lampe électrique. – Un masque M2. – Un fusil Berthier 07/15, avec une recharge de trois cartouches. Fusil Berthier 07-15 – Une épée baïonnette. – Un révolver lance-fusées et sa fusée éclairante rouge à parachute. – Un quart avec sa hanse recouverte de ficelle, pour éviter les brûlures aux doigts. – Un périscope en tôle. – Une grenade CF. Citron Foug 1916. – Une bouteille d’alcool de menthe. – Un bidon de 1 litre. – Une paire de brodequins.


Le 21 mars 1918, opération Saint-Michel
Effectivement, la Guerre reprit furieusement avec les offensives du printemps. Les Allemands attaquèrent en force ; on prétendit qu’ils étaient de nouveau aux portes de Paris…
Chers parents Ces quelques mots pour vous donner de mes nouvelles. Aujourd’hui, il a plu toute la journée, et j’espère qu’il en a été de même chez nous, à Aurec (Aurec-sur-Loire). On nous a distribué des masques à gaz, puis, à l’entraînement, on nous a fait traverser des nappes de gaz pour qu’on s’y habitue. J’ai reçu une lettre de l’oncle Pierre dans laquelle il me dit que vous vous faites du mauvais sang pour moi. Ça ne sert à rien de s’inquiéter, et ça ne fait pas avancer les choses. J’ai reçu une lettre de Louis aujourd’hui. Il me dit qu’il est en première ligne et que son régiment a eu pas mal de tués. Hier on a fait une marche, et on a fait la « petite guerre » avec le 21ème, le 171ème et le 98ème régiments. A un moment les fusils et les mitrailleuses ronflaient fort ; si tu avais vu le monde que ça faisait, je n’en avais jamais vu autant ! Plus que 16 jours et on se barre de ce sale patelin. Je termine pour aujourd’hui, votre fils qui vous embrasse bien fort. Antonin
Il va sans dire qu’on ne savait rien de tout ce qui se préparait. Peut-être quelques paroles en l’air, des bribes de conversations échappées par ci par là, parfois des indiscrétions relayées par les relèves de régiments. Mais rien de bien sérieux qui aurait pu nous inquiéter.
D’ailleurs les semaines qui suivirent furent remplies de bonnes nouvelles : les Américains étaient arrivés en masse, les chars d’assaut FT17 Renault tant désirés étaient enfin là. Chose incroyable, ces engins de mort ravissaient les « Boys » d’un bonheur puéril.
Sorti des usines Renault de Billancourt, le FT 17 était un char léger doté d’un moteur de 35CV, qui correspondait parfaitement à la demande et aux besoins de cette guerre. D’un poids de 7,5 tonnes, d’un blindage à l’épreuve des balles perforantes à 30 mètres, il alliait rapidité, performance, et efficacité. Contrairement aux tanks Anglais du type Mark IV et des chars d’assaut Français, Saint Chamond et Schneider, très lourds, très lents, et qui tombaient souvent en panne, le FT 17 était armé sous tourelle d’un canon de 37 mm ou d’une mitrailleuse Hotchkiss de 8 mm. Sa production passa de 10 unités en 1917 à 1750 en 1918.
Ça y est ! on a reçu l’ordre de remonter aux tranchées ! Sur le parcours vers la première ligne, je me sens figé par le froid ; mes tripes se tordent, et je ne sens plus mes pieds. Ce sont des sensations terribles qui me tenaillent, alors que j’avance dans ce boyau inondé par l’eau et la boue. J’avance comme un automate. La tête penchée, je regarde mes godillots s’empêtrer dans cette mélasse gluante ; une odeur répugnante s’en échappe.
Le gars devant moi éclabousse mes molletières à chacun de ses pas. J’ai peur ; je tâtonne, ma main s’agrippe à la paroi du talus et à son havresac. Je titube sous le poids de mon équipement ; je suis comme ivre, mais j’avance. « Fil ! » crie le gars de devant, alors je baisse la tête pour passer sous le câble téléphonique, et puis j’avertis celui qui se trouve derrière moi pour qu’il fasse de même.
4 h 40 en Picardie
Les boches attaquèrent à partir de la ligne Hindenburg, là où ils s’étaient retranchés depuis 1917. 6 200 canons crachèrent violemment une pluie de fer et de feu sur nos positions. Nous résistions avec la rage du désespoir. Des avions Fokker D. VII nous rendirent visite, et leurs mitrailleuses nous firent beaucoup de mal, y compris dans les rangs des Britanniques. Mais ils ne passèrent pas.
Début avril 1918
La relève arriva à notre grand soulagement. Mais nos remplaçants, eux, arboraient une triste mine ; ils étaient littéralement décomposés. Nous apprîmes quelques jours plus tard que l’opération allemande de Ludendorff, nommée « opération Michael », avait échoué. Les Teutons n’étaient pas passés ; et nous en étions fiers.
Une fois de plus, j’avais été préservé par ma bonne étoile ! d’ailleurs tous les poilus croient en leur bonne étoile… On se raccroche à ce qu’on peut, à de petits riens, à un porte bonheur, une médaille, un saint …
Chers parents Ces quelques mots pour vous donner de mes nouvelles. Les permissions débuteront à partir du 1er octobre. Cette nuit, les avions boches sont venus nous rendre visite et nous en avons descendu un. Avant-hier, ils ont demandé des élèves caporaux. Comme personne ne s’est proposé, ils m’ont désigné d’office, avec mon copain de Roanne. A l’exercice, on nous apprend à commander une section. Ce soir j’ai reçu une lettre de Louis dans laquelle il me dit qu’il se trouve à Baccarat (ville du Nord-Est de la France, département de Meurthe-et-Moselle). Je ne trouve plus rien à vous dire pour aujourd’hui. Je suis toujours en bonne santé et désire que ma lettre vous en trouve de même. Votre fils qui vous embrasse bien fort. Antonin
OPÉRATION SAINT-MIHIEL
12 septembre 1918 : les Américains passent à l’offensive
Ce fut comme une avalanche ! nous fûmes débordés, dans le bon sens du terme bien sûr, car les « Sammies » étaient nos alliés. Je n’avais jamais vu, au grand jamais, autant de matériel et de troupes : une surabondance de fourniture, de vivres, de chevaux, et de canons. Tout ce beau monde virevoltait avec aisance dans une panique calculée ; un immense charivari où chacun trouvait sa place. Ils prenaient grand soin de leurs montures, les bichonnaient avec tendresse ; on pensait que c’était logique pour des cowboys !
Avec les copains du pays, nous en avons rencontré des plutôt sympathiques, mais la barrière de la langue freinait pour beaucoup nos échanges. Cependant, aves force de simagrées et de gestes avec les doigts et les mains, on parvenait malgré tout à se comprendre. On faisait du troc : des cigarettes contre des œufs frais ; ils en raffolaient. On se disait que ces grands gaillards aux joues roses et puériles avaient traversé l’océan pour venir se battre à nos côtés, et peut-être, pour beaucoup, y trouver la mort.
Uniforme américain 1917-19 1 – une chemise et tunique en laine du modèle 1912 2 – une culotte en laine et une paire de bandes molletières 3 – une paire de brodequins-un chapeau US avec le cordon bleu en coton de l’infanterie 4 – une gourde en aluminium et son quart dans une housse protectrice du modèle 1910 5 – un ceinturon cartouchière du modèle 1914 sur lequel se fixait une poche de toile contenant la boîte à pansements 6 – un casque US 45 modèle 1917, copie du modèle anglais 1916 du type Brodie Casque anglais modèle Brodie 7 – un fusil Springfiel M 1903- une baïonnette 1905 dans son fourreau recouvert de toile Springfield M1903 8 – un poignard bolo modèle 1917 9 – des grenades MK1 – un périscope en bois à section rectangulaire 10 – un masque à gaz modèle 1917 américain, avec sa housse, copie du modèle anglais et deux plaques d’identités en aluminium, enchâssées sur un cordon permettant ainsi de les porter autour du cou.


Le 13ème Corps d’Armée rassemblait des gars venus du pays de l’Allier, de la Loire, du Puy de Dôme, de la Haute Loire et du Cantal ; en quelque sorte exclusivement des Auvergnats… Depuis 1914, notre cantonnement se situait à Montbrison et Clermont-Ferrand.
Le jour de la Mobilisation, j’étais parti de la gare de Châteaucreux, à Saint-Étienne, la fleur au fusil. Comme beaucoup de copains, je pensais que la guerre serait courte, et qu’à Noël nous serions tous rentrés chez nous. Surtout que nombreux étaient paysans, qu’il fallait moissonner, et que ça ne devait pas attendre…
Des copains du pays, j’en ai retrouvé sur le front. Certains eurent plus de chance que d’autres. Parmi les survivants auvergnats de cet holocauste, quelques-uns sortirent presque indemnes, mis à part quelques blessures que j’appellerais « minimes ».
Il y avait, entre autres, Eugène Bost, de Saint-Etienne, Marcel Pernon, de Roanne, Joseph Morin, de Retournac, et Lucien Verot, de Bas-en-Basset. En 1920, lors de mon transfert au Levant, je retrouverais un autre bon copain, Louis Bourgin, de Montbrison.
Ensemble, nous avions eu de franches rigolades. Notamment un jour de relâchement au casernement de Clermont-Ferrand, où nous avions fait croire à un jeune bleu de la région parisienne que nous mangions du fromage avec des araignées. En fait, les araignées étaient des « artisons » (des petits insectes microscopiques, invisibles à l’œil nu sur la croûte, et qui affinaient le fromage). Ce « fromage des artisons » était bien connu dans le Massif Central. Je vois encore les grands yeux écarquillés du petit trouffion qui n’en croyait pas un mot.
Chers parents Ces quelques mots pour vous donner de mes nouvelles. Je viens de recevoir à l’instant votre lettre en arrivant du rapport. J’y ai trouvé votre mandat, mais je n’en avais pas encore besoin. Tu me dis maman que ton bras ne te fait plus souffrir, qu’il semble guéri ; et ça me fait bien plaisir. Je pense sous peu avoir une perm, mais je crois que les durées des permissions vont passer à vingt jours au lieu de sept. Il y a un projet de loi qui doit se voter à la Chambre. Depuis que les Américains ont pris l’offensive, il défile quelque chose comme troupe ! je me demande d’où ils sortent. De l’infanterie, de l’artillerie, et du matériel de toutes sortes. Il passe ici environ une vingtaine de trains par jour. Je vous ai parlé de mon copain de Roanne ; c’est le fils d’un distillateur. Il s’appelle Marcel Pernon. Dans quelques jours je vous enverrai sa photo. Je termine pour aujourd’hui, je suis toujours en bonne santé. Votre fils qui pense à vous et qui vous embrasse bien fort. Antonin

Casque français Adrian
Les chevrons de présence, cousus sur le bras gauche du soldat gradé ci-dessous, signifient : le premier chevron indique une année effective de présence dans la zone des armées, et chaque chevron supplémentaire une période de six mois de plus. Soldat du 16ème RI Le soldat ci-dessous porte un brassard de deuil. C’était un large ruban noir que les hommes portaient au bras gauche et qui signalait à tous leur état. Soldat du 16ème RI

2 Novembre 1918
Mais pour l’instant, des rumeurs de plus en plus persistantes sur une prétendue fin des combats arrivèrent jusqu’à nos oreilles ; tout le monde en parlait, et chacun avait sa version. Serait-il possible que ce soit la fin de guerre ?
Certains étaient catégoriques : l’armistice était déjà signé ! pour d’autres (soi-disant initiés…) l’on était en pleins pourparlers. Des affirmations entendues de la bouche de l’ordonnance d’un officier, qui lui-même, connaîtrait quelqu’un de bien placé au GQG de Chantilly…
Pour le moment, nous étions toujours à nos postes, dans nos tranchées, prêts à nous entre-tuer à la moindre occasion. Les tireurs d’élite des deux camps s’épiaient, guettant le moindre geste de l’autre.
Puis le grand jour arriva ! Enfin, le cauchemar se terminait ; nous allions pouvoir tous rentrer dans nos foyers, après quatre année de tueries sans précédent…
11 novembre 1918, l’armistice est signé
Sur une ligne de front partant de la mer du Nord jusqu’à la Suisse, des milliers de clairons sonneront l’air de la victoire, annonçant définitivement la fin de la guerre.

Que nenni ! à ce moment-là, le soldat Antonin Delhomme ignorait qu’il allait devoir partir en Orient. Après la défaite Turque (armistice de Moudros, le 30 octobre 1918), les forces armées françaises reçurent un mandat de la SDN sur la Syrie et le Liban. Pour maintenir l’ordre sur ces territoires, la France constitua une force armée, l’« armée du Levant ».
Un long périple commença pour Antonin : il s’embarqua pour l’Orient avec pour première étape Constantinople…Désormais, il appartenait au 16ème Régiment de Tirailleurs sénégalais C.H.R, dans l’armée d’Orient.

Casque Adrian de l’infanterie française modèle 1915
« La guerre d’Antonin » se poursuit dans la nouvelle suivante : « Un Poilu du Levant ».
16ème Régiment de Tirailleurs Sénégalais, 1er bataillon, armée du Levant

1919 – tous les officiers portent l’ancre d’or au képi 1920 – l’ancre entrelacée d’un câble devient l’insigne commun des troupes coloniales
Publié précédemment : « Du sang sur les bleuets » Éditions Volume.
« La guerre d’Antonin », une nouvelle extraite de mon livre « Des Poppies et des larmes ».

Bleuets
Pour une meilleure compréhension et facilité de lecture, certains mots et phrases des correspondances d’Antonin ont été modifiés. Hormis Antonin Delhomme, qui a véritablement existé, cette nouvelle est une fiction. Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé ne serait qu’une pure coïncidence. Seuls les événements historiques sont authentiques.
Lire dans la même collection:
Journey to Gallipoli, l’Embarquement
Journée to Gallipoli, Terminus Gaba Tépé
Le Zeppelin « A stairway to hell ! »

« All gone but not forgotten »
Sources :
Mes photos
Photos publiques Facebook
La Grande Guerre, Éditions ALP/Marshall Cavendish, 1997/1998
14-18 Le magazine de la Grande Guerre, N°1 à 34 de 2001 à 2006
C’était la guerre des Tranchées, Tardi, Editions Casterman
Le Chemin des Dames, Pierre Miquel, Editions Perrin 1997
Mourir à Verdun, Pierre Miquel, Editions Tallandier 1995
Les mutineries de 1917, documentaire TV de Pierre Miquel
Paroles de Poilus, Editions Tallandier 1998
La première guerre mondiale, Suzanne Everett, 1983
Frères de tranchées, Marc Ferro, Editions Perrin 2005
Tous mes remerciements au services des archives de la ville d’Aix en Provence.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Op%C3%A9ration_Michael
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_l%27Aisne_(1918)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Armistice_de_Moudros