La bataille de Mansourah – 1250

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LES CROISADES

(1095 – 1291)

 

LA SEPTIÈME CROISADE

« Croisade Égypte »

(1248-1254)

 

LA BATAILLE DE MANSOURAH

(Du 8 au 11 février 1250)

 

« Dieu le veut ! »

Croisé

Croisé

 

Un long chemin vers la terre du Christ

 

Lire :

1 – Des origines à l’appel du pape Urbain II

2 – La Première Croisade

3 – La Deuxième Croisade

4 – La Troisième Croisade

5 – La Quatrième Croisade

6 – La Cinquième Croisade

7- La Sixième Croisade

8- La Septième Croisade

 

 

INTRODUCTION

Prêchées et bénies par les papes successifs, dirigées par les souverains des royaumes et des Empires de la vieille Europe, ces expéditions se devaient d’être les ambassadrices de tout ce que l’esprit de la chevalerie médiévale portait de bon en lui. Nonobstant, les Croisades furent, mise à part la 1ère, un échec militaire, mais sur le plan culturel et économique, l’Occident chrétien en ressortira enrichi. En effet, au sortir de cette aventure, l’Europe en sera bénéficiaire ; elle était en retard sur le mode de vie d’un Orient qui commence alors à décliner. On retiendra sur le plan géopolitique, la création des États latins d’Orient : les Comtés d’Edesse et de Tripoli, la Principauté d’Antioche, et le Royaume de Jérusalem. De pair, cette période engendrera le développement et la prospérité des républiques italiennes comme Amalfi, Gênes, Pise et Venise, qui tireront des profits considérables de cette aventure.

SOMMAIRE

La Septième Croisade, souhaitée par le pape Innocent IV, est la première des deux expéditions projetées et dirigées par le roi de France Louis IX en Terre Sainte. Lancée par ce dernier en 1244, elle se met en route quatre ans plus tard et accoste en Égypte en 1249. Lors de la Sixième Croisade (1228-1229), les négociations de Frédéric II de Hohenstaufen avaient permis de récupérer Jérusalem sans coup férir (traité de Jaffa, 11 février 1229). En 1248, le sultan d’Égypte reprend la ville sainte et décime l’armée chrétienne. Le roi de France veut donc attaquer les musulmans au cœur de l’Égypte, et les obliger ainsi à restituer les territoires occupés. Cependant, au 13ème siècle, la ferveur religieuse n’est plus la même que pour la Première Croisade (1095-1099) ; elle s’est émoussée au fil du temps et des échecs. Saint Louis, qui prend la route avec son épouse Marguerite de Provence et ses deux frères, Robert d’Artois et Charles d’Anjou, s’est vu contraint d’obliger nombre de ses seigneurs à se croiser avec lui. Le 28 août 1248, le roi et sa suite embarquent à Aigues-Mortes. Construit à l’initiative de Louis IX, ce nouveau port permet d’avoir un débouché sur la méditerranée et de se libérer de la domination des marines italiennes concernant le transport de troupes par mer. Ils accostent sur l’île de Chypre le 17 septembre 1248 pour y passer l’hiver. Louis et sa suite débarquent ensuite près de Damiette et prennent la ville le 5 juin 1249. Puis les Francs font route vers le Caire, où ils sont assaillis et subissent un harcèlement permanent des troupes musulmanes de l’émir Fakhr-ad-Din Yusuf. A la bataille de Mansourah, le 9 février 1250, l’armée croisée, affaiblie, décimée, doit, malgré la victoire, céder le terrain et faire retraite. Robert d’Artois, le frère du roi, est tué avec une grande partie de sa chevalerie. Louis sera même fait prisonnier lors de la débâcle. Le roi sera libéré contre une forte rançon (un million de dinars), acquittée essentiellement par les Templiers. Le 6 mai 1250, Damiette est rendue aux musulmans. Louis IX passera les quatre années suivantes à réorganiser les défenses des principautés franques afin qu’elles puissent se prémunir des attaques mamelouks. En avril 1254, Louis IX quitte la Terre Sainte.

 

Combats entre Chrétiens et Musulmans

Combats entre Chrétiens et Musulmans

 

QUELQUES REPÈRES :

ABBASSIDES : dynastie arabe qui règne sur le Califat abbassides (750-1258), centrée sur Bagdad de 762 à 1055 (prise de la ville par les Mongols). Son fondateur, Abû al-`Abbâs surnommé As-Saffâh, est un descendant de ‘Abbas ibn ‘Abd al-Muttalib, le plus jeune oncle du prophète Mahomet.

 

FATIMIDES : dynastie du califat shiite positionnée sur l’Egypte (909-1171). Ses membres reconnaissent leurs origines comme descendants de Mahomet par sa fille Fatima.

OMEYYADES ou UMAYYADES : dynastie arabe de califes positionnée sur Damas de 661 à 750, puis sur Cordoue (756-1030). Les Omeyyades gouvernent le monde musulman de 661 à 750. Ils tiennent leur nom de leur ancêtre ʾUmayyah ibn ʿAbd Šams, grand-oncle du prophète Mahomet. A son apogée leur empire s’étend de l’Inde et de l’Asie centrale à l’Atlantique ; leur tentative de conquête de l’Europe occidentale s’achève avec leur défaite à Poitiers en 732, face à Charles Martel.

SELDJOUKIDES : membres de la plus importante des tribus turques qui ont émigré du Turkestan vers le Proche-Orient avant de régner sur l’Iran. Islamisé et organisé militairement, ce peuple conquiert un immense empire autant sur l’Empire Byzantin (prise de Constantinople en 1453) que sur les différents califats arabo-musulmans.

AYYOUBIDES : la dynastie musulmane des Ayyoubides est une famille arabe d’origine Kurde. Elle descend d’un officier kurde, Najm ad-Din Ayyub, lui-même père de Saladin (Ṣalāḥ ad-Dīn Yūsuf, 1138-1193).

MAMELOUKS : sont issus de la garde d’esclaves mercenaires à la solde du Sultan ayyoubide. Ils renverseront ce dernier en 1250 lors de la Septième Croisade. Le Sultanat Mamelouks gouvernera l’Égypte et la Syrie de 1250 à 1517.

 

CHRONOLOGIE DES ÉVÉNEMENTS ANTÉRIEURS

Languedoc : croisade contre les albigeois

1242

– 28 mai : massacre des inquisiteurs à Avignonet par un groupe de gens partis de Montségur.

– 2ème excommunication de Raymond VII.

 

Languedoc : croisade contre les albigeois

1243
– mai : nouveau siège de Montségur effectué par le représentant du roi Louis IX, le sénéchal de Carcassonne (Hugues des Arcis).

Le Concile catholique de Béziers veut châtier les responsables du massacre des inquisiteurs à Avignonet. Il admet qu’aucune action ou représailles ne seraient efficaces sans avoir obtenu tout d’abord la reddition de la forteresse de Montségur. Afin d’intensifier la lutte contre les hérétiques, le synode confie les combats à venir au sénéchal de Carcassonne, Hugues des Arcis.

– hiver : premiers succès à Montségur ; les coups de force et frappes pour faire tomber la citadelle sont encourageants. Les Français (croisés) gagnent du terrain. 

Orient

– 12 juin : Balian d’Ibelin s’empare de Tyr, alors aux mains des alliés de Frédéric II de Hohenstaufen (1194-1250).

1244

Languedoc : croisade contre les albigeois

– 1er mars : Raymond de Pareille et Pierre Roger de Mirepoix, qui dirigent la défense du château de Montségur, obtiennent une trêve de deux semaines pour organiser l’évacuation de la citadelle. Avec le consentement de l’évêque cathare Bertrand Marty, ils décident de négocier la reddition de la forteresse.

– 16 mars : le château de Montségur capitule. 210 Cathares refusant d’abjurer sont conduits au bûcher. L’ost du roi s’empare de la place forte.

Château de Montségur

Château de Montségur

Orient

– 23 août : les Khwarezmiens prennent Jérusalem aux Croisés.

Les Khwarezmiens, aussi appelés Chorasmiens, Kharezmiens ou Korasmiens. Cet ancien royaume de Khwarezm, iranien, situé entre la mer Caspienne et la mer d’Aral, existe depuis l’Antiquité. Au Moyen Âge, il est islamisé et subit l’influence turque. Aux 12ème et 13ème siècle, il se positionne en Asie centrale comme une puissance de premier plan. C’est à partir de 1221 qu’il s’efface sous les coups des Mongols gengiskhanides. Le shah du Kharezm et les débris de son armée vont errer durant plusieurs années entre l’Iran, l’Inde et le Proche-Orient. En 1244, ils se rendent maître de Jérusalem et saccagent la ville sainte. Ils combattront aux côtés des ayyoubides contre les armées franques, et seront finalement exterminés par leurs propres alliés, qui se retourneront contre eux. L’expédition des Khwarezmiens fragilisera les États latins d’Orient, mais aussi les Ayyoubides.

– 17 Octobre : Louis IX fait le vœu de partir en Croisade.

-18 octobre : défaite des Francs à la bataille de La Forbie, au nord-est de Gaza.

1245

 

Languedoc : croisade contre les albigeois

Pourchassés, sans abris et désormais sans refuges, les Cathares fuient à l’étranger, en particulier en Lombardie.

Orient

 

– 28 juin : début du 13ème Concile œcuménique au couvent de Saint-Just, à Lyon. Innocent IV y prédit la Septième Croisade vers l’Égypte.

Innocent IV au Concile de Lyon

Innocent IV au Concile de Lyon

– Mort d’Armand de Périgord, seizième Grand Maître de l’Ordre du Temple. Richard de Bures lui succède.

Armoiries Armand de Périgord

Armoiries Armand de Périgord

1246

 

Mort de Geoffroy II de Villehardouin (1195-1246), prince de Morée ou d’Achaïe. Son frère Guillaume II de Villehardouin (1211-1278) lui succède.

Armoiries d'Achaïe ou de Morée (1205-1432)

Armoiries d’Achaïe ou de Morée (1205-1432)

1247

 

Languedoc : croisade contre les albigeois

Raymond II Trencavel se soumet définitivement à Paris.

 

Orient

 

– 5 ou 9 mai : mort de Richard de Bures, Grand Maître de l’Ordre du Temple. Guillaume de Sonnac lui succède.

Armoiries Guillaume de Saunhac

Armoiries Guillaume de Saunhac

–  17 juin : en Galilée, les Khwarezmiens s’emparent de Tibériade, tenue par les Francs.

– 4 septembre : mort de Balian d’Ibelin, seigneur de Beyrouth. Son fils Jean d’Ibelin lui succède.

– 15 octobre : les Khwarezmiens reprennent Ascalon, tenue par les Croisés.

– Le pape Innocent IV place le royaume de Chypre sous la tutelle du Saint Siège, et le décharge de tout hommage vis-à-vis du Saint-Empire.

 

1248

– 12 juin : Louis IX et la Septième Croisade partent de Saint Denis.

Départ de Saint-Louis pour la Croisade

Départ de Saint-Louis pour la Croisade

– 25 août : Saint-Louis et la Septième Croisade embarquent à Aigues-Mortes.

– 7 septembre : Saint-Louis et la Septième Croisade arrivent à Chypre.

Péninsule Ibérique, Reconquista

Le 23 novembre, Ferdinand III de Castille s’empare de Séville.

1249

Languedoc : croisade contre les albigeois

Le 27 septembre Raymond VII meurt à Millau. Le roi et l’Église ayant réussi à l’empêcher de se remarier, il décède sans descendance. Son gendre Alphonse de Poitiers et de France lui succède.

 

Orient

– 30 mai : Saint-Louis et la Septième Croisade quittent Chypre et s’embarquent pour Damiette.

– 5 juin : Saint-Louis et la Septième Croisade accostent à Damiette.

Débarquement des Croisés à Damiette 1249

Débarquement des Croisés à Damiette 1249

– 6 juin : Prise de Damiette par les Croisés.

 

– 20 novembre : Saint-Louis et la Septième Croisade quittent Damiette et prennent la direction du Caire.

– 23 novembre : mort de Al-Malik as-Sâlih Najm ad-Dîn Ayyûb (1207-1249), sultan d’Égypte. Son fils Al-Malik al-Mu`azzam Tûrân Châh lui succède.

1250

– 8 février : bataille de Mansourah.

Bataille de Mansourah

Bataille de Mansourah

– 11 février : mort de Guillaume de Sonnac (mort au combat, à la bataille de Mansourah), 17ème Grand Maître de l’Ordre du Temple. Renaud de Vichiers lui succède.

– 28 février : arrivée de Al-Malik al-Mu`azzam Tûrân Châh à Mansourah.

– 6 avril : Saint-Louis est fait prisonnier ; son armée se rend aux Ayyoubides.

Louis IX fait prisonnier

Louis IX fait prisonnier

– 2 mai : Al-Malik al-Mu`azzam Tûrân Châh est assassiné par les Mamelouks.

Assassinat de Turan Shah

Assassinat de Turan Shah

– 6 mai : Louis IX est libéré en échange de la ville de Damiette.

– 8 mai : Saint-Louis quitte l’Égypte et part en Syrie.

– 13 mai : arrivée de Louis IX à Saint-Jean-d’Acre.

– 9 juillet : Al-Malik an-Naser Salah ad-Dîn Yusuf (1228-1260), sultan ayyoubide d’Alep, entre dans Damas.

 

QUELQUES REPÈRES :

CALIFE : chef temporel et spirituel dans les Etats musulmans. Titre porté par les successeurs du prophète Mahomet.

CALIFAT : comprend le territoire et la population musulmane qui y vit sous l’autorité d’un Calife. Trois Califats revendiqueront le rôle suprême du point de vue temporel et spirituel : Abbassides (Bagdad), Omeyyades (Damas puis Cordoue en Espagne) et Fatimides (Le Caire).

VIZIR : haut fonctionnaire, ayant un rôle de conseiller ou de ministre auprès des dignitaires musulmans.

ATABEG : titre de noblesse turc. Sous l’hégémonie de la dynastie seldjoukide, il s’agissait d’un dignitaire qui avait le rôle de protecteur d’un jeune prince. A la mort de ce dernier, un Atabeg était désigné pour défendre les biens des héritiers.

ÉMIR : titre de noblesse d’un dignitaire musulman ; en arabe c’est celui qui commande, qui donne des ordres.

SULTAN : titre porté par des souverains de différents états musulmans, à partir du 11ème siècle (Seldjoukides). Il est donné par le calife à ceux à qui il confère ce pouvoir. Le territoire géré par un sultan est un « sultanat ».

LA BATAILLE DE MANSOURAH

(Du 8 au 11 février 1250)

– Lire :

La Septième Croisade

Aigues-Mortes un port royal

Escale à Chypre

La Prise de Damiette

SITUATION

Le 20 novembre 1249, cinq mois après la prise de Damiette (6 juin), Louis IX et l’armée de la Septième Croisade prennent la route du sud et se dirigent vers Le Caire. Ils seront stoppés pas les forces musulmanes à la bataille de Mansourah, le 9 février 1250.

 

PRÉLIMINAIRES

Après la prise de Damiette (6 juin 1249), et après avoir longuement attendu des renforts conduits par son frère le comte Alphonse de Poitiers, le roi Louis peut enfin tenir son conseil de guerre. Les Francs hésitent ; deux solutions divisent ses barons : soit attaquer et s’emparer d’Alexandrie afin d’isoler l’Égypte, soit se diriger sur Le Caire pour se rendre maîtres de la capitale. Contre l’avis de ses barons qui l’incitent à prendre Alexandrie, Louis IX décide de marcher sur Le Caire ; d’autant que son frère, Alphonse de Poitiers, venu d’Europe, vient de le rejoindre à la tête des renforts tant espérés. Dès le 20 novembre, les Croisés progressent vers le sud en suivant le Nil ; ils ont pour objectif de porter tous leurs efforts contre la forteresse d’El-Mansourah (le chant de la victoire en arabe) qui se dresse sur leur route. Mansourah étant la seule ville qui protège Le Caire, les Ayyoubides vont tout mettre en œuvre pour la défendre. Ce puissant bastion est solidement défendu par le sultan Turanchah (Al-Malik al-Mu`azzam Tûrân Châh), qui vient succéder à son père Saleh Ayoub (Al-Malik as-Sâlih Najm ad-Dîn Ayyûb, 1207-1249).

 

Blason d'Alphonse de Poitiers

Blason d’Alphonse de Poitiers

UN CHOIX PARTAGE

Alors que le roi Louis s’entretient avec ses barons, afin de se fixer un objectif consécutif à la chute de Damiette, deux camps s’opposent au cours de rudes débats. La plupart des Francs, avec Pierre Mauclerc, ancien comte de Bretagne, et vétéran de la Cinquième Croisade, optent pour s’emparer d’Alexandrie. Tous avancent que la prise de ce grand port de commerce sur le delta du Nil bloquerait l’économie égyptienne, et permettrait aux Croisés d’être en position de force pour négocier avec le sultan. Cependant, l’un des frères du roi, le bouillant et hardi comte Robert d’Artois, somme l’assemblée présente de quitter l’armée franque si cette dernière ne porte pas son attaque sur Le Caire, bien moins éloignée. Mais la route de la capitale de l’Égypte est protégée par la forteresse de Mansourah, ce qui rend son approche très ardue. Nonobstant, Louis IX, qui n’a pas l’intention de contrarier son frère et encore moins de s’opposer à ses désirs, se range à son avis. La décision est prise lors du conseil de guerre au mois de novembre 1249 ; ce sera Le Caire…

DÉROULEMENT

L’armée chrétienne qui avance est escortée par sa flotte. Les navires assurent à la fois le ravitaillement et le transport du matériel militaire. Les forces franques qui traversent ces contrées inconnues et hostiles sont soumises à d’incessants raids de la cavalerie musulmane, et à d’innombrables incursions meurtrières dans les rangs croisés. 

Un mois plus tard, le 19 décembre, les Francs aperçoivent la forteresse de Mansourah. Cette dernière est située pourtant à seulement 50 kilomètres au sud-ouest de Damiette, leur point de départ. C’est dire si le parcours a été difficile et semé d’embûches sanglantes. La citadelle est protégée par le canal d’Achmoun, le plus large et le plus profond des bras du Nil, sur lequel patrouillent aux avant-postes des navires égyptiens. Louis IX comprend alors qu’il sera très difficile de s’emparer de la ville.

1250

Après avoir consulté ses ingénieurs, le roi Louis se range à leurs recommandations. L’obstacle ne pourra être franchi qu’après avoir été asséché par l’édification d’une digue. Mais la construction de l’ouvrage va s’avérer périlleuse. Les croisés vont être harcelés sans relâche par les archers et la cavalerie ennemie, si bien que les travaux ne pourront être achevés. Pendant plus d’un mois, les Francs restent bloqués à la merci des flèches turques. A plusieurs reprises, les machines de bois recouvertes de cuirs qui protègent les ouvriers sont brûlées par le feu grégeois. Ces flammes terrifiantes que l’on ne peut éteindre suscitent la plus vive inquiétude chez les Croisés. Les Francs sont dans une situation délicate, et les vivres commencent à faire défaut. Le feu grégeois projeté sur les hommes et les machines de guerre provoque de graves dégâts et engendre l’effroi parmi la troupe.

Jean de Joinville raconte dans ses mémoires : « Il faisoit tel bruit à venir, qu’il sembloit que ce fût la foudre qui chût du ciel ; et il me semblait d’un grand dragon volant dans l’air, et il jetoit si grande clarté qu’il faisoit aussi clair comme le jour. Trois fois, pendant cette nuitée, ils nous lancèrent ledit feu grégeois avec un pierrier, et quatre fois avec l’arbalète à tour. Et toutes les fois que notre bon roi Saint Louis voyoit qu’ils nous jetoient ainsi ce feu, il se jetoit à terre et tendoit ses mains, la face levée au ciel, et crioit à haute voix à Notre Seigneur, disoit en pleurant à grandes larmes : Biau sire Dieu Jésus-Christ, garde-moi et toute ma gent ! »

 

 

FEU GRÉGEOIS

 

Composition incendiaire à base de salpêtre et de bitume, utilisée dans l’Antiquité, au Moyen Âge et dans l’Empire byzantin. (Pouvant brûler sur l’eau, il servait dans les combats navals.)

Feu grégeois

Feu grégeois

C’est alors que le 8 février un bédouin se propose, contre rétribution (500 besans d’or), de leur faire franchir le canal en leur indiquant un gué où ils pourront traverser facilement.

Finalement, le gros de l’armée croisée parvient de l’autre côté du bras du grand fleuve et se trouve face à la citadelle d’El-Mansourah ; et les véritables ennuis vont commencer…

UNE DÉFAITE INJUSTE

L’armée franque, en majorité constituée de cavaliers, est composée de quatre corps :

– L’avant-garde est menée par les Templiers, des hommes chevronnés et réfléchis, aguerris à cette sorte de conflit.

Croix des Templiers

Croix des Templiers

– Le comte d’Artois (1216-1250), brave, téméraire et fougueux, commande le second corps de bataille.

Armes d'Artois

Armes d’Artois

– Le troisième corps est sous les ordres du duc Charles  d’Anjou (1227-1285).

Armes d'Anjou

Armes d’Anjou

– Le Quatrième, et le plus important, est dirigé par le roi Louis IX (1214-1270).

Armes du royaume de France

Armes du royaume de France

11 février

Dès lors, le frère du roi, le comte Robert d’Artois, n’écoutant pas les conseils des Templiers, se lance à l’assaut des fortifications avancées des Musulmans

Robert d'Artois

Robert d’Artois

Il se rue sur les positions turques, suivi par les Templiers du grand maître Guillaume de Sonnac, et les Hospitaliers de Jean de Ronay.

 

Ordre de Saint-Jean de Jérusalem

Ordre de Saint-Jean de Jérusalem

Après une dure confrontation avec les Mamelouks, son entreprise téméraire est couronnée de succès. Fort de son allant et de son audace, sa progression l’amène à aller plus de l’avant et à réussir à entrer victorieux dans la citadelle de Mansourah. Mais Robert d’Artois va se retrouver isolé du reste du gros de l’armée et pris au piège. Capturé, il est massacré ainsi que le comte de Salisbury et 200 Templiers. Le grand maître des Templiers Guillaume de Sonnac y perdra un œil. Dans la mêlée, l’Émir Kahreddin est tué ; le chef des Mamelouks, Baïbar, « l’Arbalétrier » le remplace sur-le-champ.

Louis IX apprendra la mort de son frère le soir venu.

Dans son Histoire de Saint Louis, le sénéchal de Champagne Jean de Joinville relate « les larmes qui tombaient des yeux bien grosses ». « Ô mon cher frère, dit le roi, combien je crains que votre orgueil vous ait engagé en quelque malheur ! ».

 

LE ROI REFUSE DE QUITTER L’OST

Le lendemain, les Égyptiens reviennent à la charge et sont repoussés. Démoralisés et persécutés de tous côtés par la contre-offensive de l’ennemi, les Croisés résistent avec courage et détermination. Mais ces derniers vont devoir affronter un adversaire bien plus redoutable. Bientôt, leurs rangs vont être décimés par la famine d’abord, puis par une grave épidémie de dysenterie et de fièvres typhoïdes. Un véritable fléau provoqué par le manque d’hygiène et par la pollution des eaux du Nil, où gisent de nombreux cadavres en décomposition. En outre, plus au nord, la flotte musulmane bloque le ravitaillement des forces croisées. L’ost royal est dans une situation désespérée.

Dans la nuit du 5 au 6 avril, les Francs doivent se résoudre à se retirer de la bataille, et prennent la route de Damiette. Le roi organise le repli des bribes de son armée, soit 12 000 hommes. Il doit faire vite car le temps presse : il lui faut éviter d’être bloqué par la crue du Nil. Ses troupes sont déjà épuisées, malades, et décimées par la peste. Les blessés sont évacués par le fleuve. Son frère Charles d’Anjou lui demande de prendre place à bord des navires où les malades et les blessés ont été embarqués. Bien qu’épuisé de fatigue, le Capétien refuse.

Le 6 avril au soir, l’arrière-garde de l’armée franque fait une halte dans le petit village  de Munyat Abu-Abdallah. Le roi fiévreux est contraint de s’aliter. Chargé de veiller sur le repos du roi, Gautier de Chatillon, comte de Blois, est tué par les Mamelouks qui assaillent le camp. Les barons survivants, restés auprès de leur souverain, lui conseillent de négocier une trêve. Mais il est trop tard, l’ennemi est tout proche et cerne le village ; il n’est plus question de trêve !

A l’aube du 7 avril, le roi de France, tous ses gens, grands seigneurs et barons, sont fait prisonniers. L’armée croisée n’existe pratiquement plus : les blessés sont massacrés et les quelques survivants capturés. Revêtu de haillons, le teint blafard, ravagé par les infections qui le minent, Louis IX est emmené à Mansourah où il est emprisonné. La Septième Croisade est terminée ! Il faut maintenant tout faire pour acheter la libération du roi ; si toutefois il ne meurt pas avant, ravagé par la maladie.  

PIERRIÈRE

Cet engin diabolique, qui s’inspire du principe du balancier, est dans sa version primitive d’une redoutable efficacité. Il est doté d’un bras mobile fixé sur une poutre verticale. Une des extrémités est chargée d’un bloc de pierre ou d’un boulet, et sur l’autre, plus courte, l’on a fixé un système de câbles. Les servants actionnent l’engin en tirant un coup sec sur les cordes pour propulser le projectile.

Pierrière

Pierrière

MANGONNEAU

Avec le temps, la machine va subir des transformations et se perfectionner grâce à l’intervention de véritables ingénieurs. Elle change de nom et devient mangonneau. Un détail qui fait toute la différence, car la force motrice fournie par l’homme est remplacée par un contrepoids qui se substitue à la traction humaine.

Mangonneau

Mangonneau

TRÉBUCHET

Enfin, elle prend le nom de trébuchet lorsque la présence de l’homme n’est plus demandée. Des projectiles de cent kilos peuvent alors être envoyés à plus de deux cents mètres avec une précision millimétrée. L’engin se révèle alors très efficace contre les murailles et devient la hantise des villes assiégées. Il ne sera supplanté qu’avec l’avènement de l’artillerie.

Trébuchet

Trébuchet

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11 réponses

  1. Compte rendu passionnant, écrit avec une clarté remarquable. Il y a eu dans ma famille des Croisés et des….Albigeois.

    Merci infiniment.

    Danielle de Seguins Pazzis d’Aubignan

  2. Cher Monsieur,

    Je viens de vous envoyer un commentaire assez détaillé…..mais il m’a filé sous les doigts…. peut-être l’avez-vous reçu? Espérons-le
    Danielle de Seguins Pazzis

    • Jean Marie Borghino dit :

      Bonjour madame,
      Je suis désolé mais je n’ai malheureusement pas reçu votre commentaire.Toutefois je vous remercie de m’avoir lu et l’intérêt que vous avez apporté à mon article me conforte et me pousse à continuer dans mes efforts de recherches sur ces sujets historiques.
      Merci,
      Jean-Marie Borghino

  3. Oops Faute de Français…..entendu parler…..zut spellcheck.
    Danielle de Pazzis Articles récents…Les Témoins du passé – Les pharaons célèbres de la dynastie PtolémaïqueMy Profile

  4. Cher Monsieur,

    Je recherche, sans succès. Un très beau passage, très court de Joinville, qui avait beaucoup ému mes étudiants américains. C’était à la fin d’un chapitre dans une série littéraire publiée par Castel et Surer. Livre que je n’ai plus. Des Croisés s’arrêtent brièvement dans une île ….peut-être Lampedusa et font une chasse aux lapins ( conins) . Ils tombent par hasard sur un petit jardin , puis une toute petite chapelle en ruines où ils trouvent deux moines gisants, momifiés par la chaleur . Ils les enterrent puisement. Au départ, déjà à bord….il manque un compagnon . Il est dit qu’il est resté à terre pour reprendre le rôle de ses deux ermites. Le capitaine fait jeter par dessus bord un ou deux tonneaux de biscuits pour l’aider à survivre. Connaissez vous ce très beau et très émouvant passage, en vieux Français, mais facile à lire.
    Merci infiniment.

    Danielle de Pazzis

    • Jean Marie Borghino dit :

      Bonjour madame,
      Je pense avoir retrouvé le texte dont vous me parlez et qui vous a tant marquée.Vous pouvez trouver le texte entier sur:
      Full text of « Jean, sire de Joinville : Histoire de Saint Louis ; Credo ; et …
      https://archive.org/stream/jeansiredejoinvi00join/jeansiredejoinvi00join_djvu.txt

      Nous partîmes de rile de Ch3’pre, après que nous eûmes pris
      dans rîle de Teau fraîche et autres choses dont nous avions besoin.
      Nous vînmes à une île qu’on appelle Lampedouse, là où nous prîmes
      tout plein de lapins ;, et nous trouvâmes un ermitage ancien dans les
      roches, et trouvâmes le jardin qu’y avaient fait les ermites qui y de-
      meurèrent anciennement : il y avait des oliviers, des figuiers, des ceps
      de vigne et d’autres arbres. Le ruisseau de la fontaine courait parmi
      le Jardin. Le roi et nous allâmes jusques au bout du jardin, et trou-
      vâmes, sous une première voûte , un oratoire blanchi à la chaux, et
      une croix vermeille de terre.

      609. Nous entrâmes sous la seconde voûte , et trouvâmes deux
      corps de gens morts , dont la chair était toute pourrie*, les côtes se te-
      naient encore toutes ensemble, et les os des mains étaient sur leurs
      poitrines- et ils étaient couchés vers l’orient, de la manière que l’on
      met les corps en terre. Au moment de nous rembarquer dans notre
      nef, il nous manqua un de nos mariniers-, à cause de quoi le maî-
      tre de la nef pensa qu’il était demeuré là pour être ermite- et pour
      cela, Nicolas de Soisi,qui était maître sergent du roi, laissa trois sacs
      de biscuits sur le rivage , pour qu’il les trouvât et en vécût.

  5. Corrections…ils les enterrent pieusement…..de ces deux ermites

  6. Anastasia Gross dit :

    Incroyable récit. Mon Ancêtre direct est Josserand de Brancion et son neveu est Jean de Joinville. Je suis si peinée et fière en même temps.

  1. 15 octobre 2023

    […] abrite le gisant de Jocerand III de Brancion, l’un des derniers seigneurs, mort en 1250 à la bataille de Mansourah, en Terre […]

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