L’insalubrité des rues de Paris au Moyen-Âge
CHRONIQUES MÉDIÉVALES
L’INSALUBRITÉ DES RUES DE PARIS
AU MOYEN-ÂGE
PROLOGUE
Faisons un grand saut dans le passé pour essayer de comprendre comment la ville de Paris vivait avec ses déchets. La cité ne peut se comparer avec la métropole actuelle ; nous l’avons bien compris. Pourtant, l’insalubrité est devenue au fil du temps le souci majeur de ses habitants et la gestion des ordures une priorité, en raison de son ampleur sans cesse croissante. Ce geste civique, qui relève des premières prises de conscience de l’époque médiévale, n’est apparu que très tard dans les esprits.
Au cours des siècles, les Parisiens ont longtemps déversé leurs immondices dans les rues, dans les fossés, dans les rivières et dans la Seine. Une étude, rapportée sur l’analyse des déchets fossilisés sur une période de 2000 ans, a révélé les coutumes et les façons de se nourrir des Parisiens.
PARIS A L’AUBE DU 1er MILLÉNAIRE
Paris sent mauvais : toutes les activités se situent au bord de la Seine. Le fleuve se transforme en un véritable dépotoir où l’on jette toutes sortes de déchets, excréments et carcasses d’animaux. Les rues sont boueuses et jonchées de détritus ; on y trouve des résidus de tanneries, de teintureries, de boucheries … Tous ces immondices finissent leur course dans la Seine. Les gens de la ville boivent une eau souillée nauséabonde et infecte ! Il faut se rappeler qu’à cette époque, se baigner dans une eau propre était considéré comme néfaste pour le corps !
12ème SIÈCLE
Le premier à s’insurger contre toutes ces nuisances est Philippe Auguste. En 1185, il prend des mesures concrètes. Il décide de faire paver les rues, creuser des canaux et des fosses au milieu des rues et ruelles encombrées. Les ordures ainsi amassées pourront être collectées par des charretiers. Il fera également ériger plusieurs fontaines sur la rive droite de la Seine, alimentées en eau par des sources provenant de Belleville (6 fonctionneront dès 1400, puis 17 en 1500). Mais les Parisiens, n’ayant cure de toutes ces transformations, ne changent en rien leurs habitudes et perdurent dans leurs modes de vie malsains.
13ème et 14ème
Dès le 13ème siècle, il est demandé aux habitants de déblayer une fois par semaine les accès de leur logis, et de ne pas laisser à l’abandon leurs ordures sur le sol. Bien qu’à cette époque-là, les cochons errant librement dans les rues en ingurgitent une grande partie. Des puits sont construits (appelés Puits Punais), mais ils servent d’égouts pour les citadins qui y déversent tous leurs déchets. Et bien entendu, les nappes phréatiques sont polluées ; les rats et autres bestiaux porteurs de maladies y pullulent à foison.
En 1343, Charles V, lassé par les émanations pestilentielles, entreprend de faire bâtir des fossés d’évacuations couverts, pour éviter la propagation de relents fétides. Il faut dire qu’en ces temps médiévaux, l’on s’imaginait partout que les odeurs étaient sources de contagion.
Mais l’humain n’est pas discipliné et les résultats ne sont pas à la hauteur des efforts consentis. La Seine continue à charrier une multitude d’ordures en tous genres. C’est ce type de contamination qui va déclencher des épidémies comme la grande Peste Noire de 1343, qui sera la cause de millions de morts en Europe, dont 80 000 à Paris.
Nonobstant, l’hygiène corporelle augmente au Moyen-Âge ; en témoignent les 26 bains publics qui ont vu le jour. Dès le 16ème siècle, ils seront fermés pour cause d’immoralité et de dépravation.
JUIN 1295, UN FLOT D’IMMONDICES ENVAHIT LES RUES DE PARIS
Le printemps de l’année 1295 est spécialement humide et pluvieux. Les orages se succèdent sans discontinuer avec une régularité alarmante. Si bien qu’un jour, pendant six heures d’affilée, un déluge d’eau d’une violence inouïe s’abat sur la ville. Les habitants, terrorisés, se cloitrent dans leurs maisons, n’osant plus mettre le nez dehors. Lorsqu’enfin les averses cessent, la cité s’est transformée en un bourbier hideux et hallucinant. Les eaux de la Seine sont montées si spontanément qu’une crue pestilentielle a enveloppé les rues et les ruelles de la capitale. Le marché aux bestiaux des halles a été noyé sous les flots, et le fumier charrié dans le fleuve où il s’est mélangé aux immondices de toutes sortes. Des tonnes de détritus de toutes origines se sont agglutinées sur les berges, sous les regards dépités des riverains, marchands et mariniers. Une solution semble faire l’unanimité, celle de tout brûler. Mais l’importante navigation sur le fleuve engendrerait un trop grand risque pour les chalands : les nacelles et les bateaux plats sont tous construits en bois. Bon gré mal gré, ces embarcations doivent continuer l’approvisionnement de la capitale.
Paris est assommé ! Inanimé et sans voix ! Les Parisiens sont obligés de prendre leur mal en patience.
DÉJECTIONS, SANIES ET CARCASSES
Sporadiquement, Paris est le théâtre de calamités dues à ce genre de pollutions et aux pestilences qui en résultent. Les écoulements fétides qui se forment déposent une multitude de détritus en décomposition.
Au fur et à mesure qu’ils approchent du cœur de la capitale, les voyageurs qui arrivent par bateau sur la Seine découvrent la façon dont les eaux du fleuve se troublent…
C’est au centre ville, entre la tour Barbeau et la tour de Nesle, que l’on jette la plus grande quantité de déchets, puisqu’il n’existe pas d’égouts. Les habitants y déversent leurs excréments et leurs immondices. Les médecins et les barbiers, comme les chirurgiens de l’Hôtel-Dieu, n’ont aucun scrupule à y balancer les sanies et le sang des saignées. Les bouchers, qui abattent annuellement des milliers d’animaux (porcs, bœufs, moutons), s’y débarrassent impunément des carcasses et autres résidus.
Ce manque d’hygiène provoque dans la population nombre de coliques et maux de ventre. Mais, aux yeux des Parisiens, ce qui importe c’est le dynamisme qui règne sur les rives du fleuve, seul facteur de l’activité économique. Il faut dire qu’en ces temps moyenâgeux, les routes navigables sont à la fois plus praticables et plus sûres que les voies terrestres. Des chalands lourdement affrétés transportent depuis les provinces les matières premières, comme les étoffes, le cuir, les poteries, le vin et une multitude de denrées alimentaires.
LA GRANDE « TOILETTE » DE PARIS
Un grand nettoyage s’impose ! il est même devenu vital !
Le manque d’hygiène est déconcertant ; rien n’est prévu pour y remédier et empêcher l’alarmante pollution. Comme partout dans les autres grandes villes du royaume, des mesures concernant la salubrité des cités ne sont prises qu’en deux occasions précises : lors des grands événements relatifs à la monarchie (mariages), et lors des réceptions royales ou rencontres diplomatiques. Les Parisiens sont contraints alors de faire un brin de propreté dans les rues de la capitale. Bien entendu, les riches bourgeois payent les services de cureurs, chargés de nettoyer les saletés répandues dans les allées de terre battue et les artères pavées. Ces voies sont encore peu nombreuses ; on cite par exemple, les rues Saint-Honoré, Saint-Jacques, Saint-Antoine et Saint-Martin. Tous les Parisiens doivent aussi se mobiliser quand apparaît le spectre de la « peste », terme utilisé à l’époque pour désigner la plupart des tragiques épidémies de peste, choléra, ou thyphus. Il est du devoir de chacun de déposer ses déchets devant sa maison dans des récipients, fermés aussi hermétiquement que possible, et attendre que les charretiers viennent les ramasser pour les évacuer.
Les ordres sont très stricts : « La planche qui ferme le tombereau devra être aussi haute que celle de devant afin que les immondices ne puissent tomber sur la voie publique. »
De nombreuses décennies seront nécessaires avant qu’apparaisse un réseau d’égouts acceptable et qui fonctionnera correctement. En attendant, les éboueurs médiévaux amassent les détritus à l’écart de Paris. Les ordures ainsi accumulées formeront des collines qui seront baptisées Butte-aux-Cailles, butte Saint-Roch ou butte Bonne-Nouvelle ; elles vont, avec le temps, s’intégrer dans le paysage urbain.
INSÉCURITÉ EN SUS; UN AIR DE « DÉJÀ VU » !
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