La Guerre de Sécession – La bataille de Shiloh

                                                                                      

 

LA GUERRE DE SÉCESSION

(1861-1865)

LA BATAILLE DE SHILOH

Ou de

PITTSBURG LANDING

(Les 6 et 7 avril 1862)

SOMMAIRE

Le 7 mai 1861, l’État du Tennessee rejoint la Confédération des États du Sud. Le Kentucky, l’État voisin situé au nord, a proclamé sa neutralité dès le début des hostilités. Son statut d’État frontalier a été déterminant dans sa décision de ne pas choisir un camp. Nonobstant, de nombreux partisans des deux belligérants se battront dans les deux armées, violant ainsi la noble neutralité du Kentucky. Vers la fin de l’année 1861, le Kentucky a perdu à la fois sa neutralité, son rôle de zone tampon et de protection de l’Etat du Tennessee. Dès lors, 35 000 soldats sudistes se positionnent sur un territoire au sud du Kentucky, faisant face à 50 000 nordistes éparpillés dans le reste de l’État.

Champ de bataille de Shiloh

« Dans le 1er mois de la Guerre, un groupe de soldats nordistes avait capturé un soldat confédéré en haillons. Le prisonnier ne possédait manifestement pas d’esclaves. Il se fichait très probablement de la Constitution et de tout le reste. Ils lui ont demandé pour quelle raison il se battait, et le sudiste leur a répondu : « je me bats parce que vous êtes là », ce qui était somme toute une réponse tout à fait valable ».

Témoignage cité par Shelby Foote 

La guerre de Sécession de Ken Burns.

Shelby Foote (immense romancier et historien américain dans la lignée de William Faulkner) est né le 17 novembre 1916 à Greenville, Mississippi. Il meurt le 27 juin 2005 à Memphis, Tennessee. L’auteur est assez méconnu en France. A travers on œuvre majeure, Shiloh, il décrit la Guerre de Sécession en 200 pages, en redonnant la parole à de simples soldats et officiers des deux armées.

SITUATION GÉNÉRALE DES ARMÉES

DÉBUT 1862

Champ de bataille de Shiloh

ARMÉE DU TENNESSEE

C’est l’une des armées de l’Union pendant la Guerre Civile américaine (1861-1865). Placée sous les ordres d’Ulysses S. Grant, elle restera sous son commandement jusqu’à la victoire de Vicksburg, en 1863. Elle prend son nom à la rivière Tennessee, et évoluera sur le théâtre ouest du conflit.

A sa création, elle comprend des divisions du district militaire de Cairo (Illinois), rattachées au « Department of Missouri ». Elle prendra le nom d’« Army of West Tennessee », qui deviendra ensuite « Army of the Tennessee ». En 1864, l’armée passera sous le commandement de William T. Sherman ; elle sera dissoute le 1er août 1865.

On ne doit pas faire la confusion avec l’Armée confédérée du Tennessee du même nom, « Army of Tennessee », mise sur pied le 20 novembre 1862. Cette armée était alors la principale force sudiste située entre les Appalaches et le fleuve Mississippi, et tire son nom de l’État du Tennessee.  


       

POUR LES FÉDÉRAUX

L’armée du Nord, quant à elle, souffre énormément de l’absence d’un chef, d’un commandement centralisé. Trois zones distinctes se répartissent les opérations dans l’Ouest, et sont divisées en trois départements respectifs :

Celui du Kansas est placé sous les ordres du brigadier-général David Hunter (1802-1886). Celui du Missouri est commandé par le major-général Henry Wager Halleck (1815-1872) et celui de l’Ohio par le brigadier-général Don Carlos Buell (1818-1898).

Au début de l’année 1862, ces trois chefs n’ont toujours pas trouvé un accord sur une stratégie pour mener à bien leurs actions dans l’Ouest.

POUR LES CONFÉDÉRÉS

Dès le début de l’année 1862, toutes les forces sudistes, de l’Arkansas jusqu’au Cumberland Gap (lieu où se rencontrent les frontières des trois États, du Kentucky, du Tennessee et de la Virginie), sont placées sous les ordres d’Albert Sydney Johnston. Mais son armée est éparpillée sur un front très étendu. Sur son flanc gauche se trouvent Léonidas Polk (1806-1864) et ses 12 000 hommes ; sur son flanc droit, à Bowling Green (dans le Comté de Warren, Tennessee), les 4000 hommes de Simon Bolivar Buckner (1823-1914). Les cours des fleuves Tennessee et Cumberland sont défendus respectivement par les forts Henry et Donelson. Il est évident que ces deux ouvrages ne doivent en aucune manière tomber entre les mains des ennemis : les deux rivières doivent rester sous contrôle confédéré.

Mais les deux ouvrages fortifiés tomberont successivement aux mains des fédéraux avec à leur tête Ulysses S. Grant : Fort Henry, le 6 février 1862, et Fort Donelson, du 12 au 16 février 1862.

Cet après-midi, voyant que le général était seul dans son bureau, je suis allé le voir pour lui demander une permission de rentrer chez moi.

– « Rentrer chez vous ? me demanda-t-il,  et pourquoi ?.

Ne trouvant aucune excuse, je lui répondis tout de go : « je veux voir ma mère ».

– Est-elle souffrante ? me demanda-t-il.

– Non, j’espère que non ».

Puis il me demanda depuis combien de temps j’étais parti, et si j’étais déjà resté loin de chez moi aussi longtemps. Je lui dis que j’étais dans l’armée depuis sept mois et que je n’avais jamais quitté mon foyer auparavant.

« Bon !  dit le général, vous vous êtes bien conduit, je vous accorde dix jours de permission ». 

Elisha Hunt Rhodes – La guerre de Sécession de Ken Burns.


 

Champ de bataille de Shiloh

Elisha Hunt Rhodes est né le 21 mars 1842 ; il meurt le 14 janvier 1917.

Elisha Hunt Rhodes

Ce soldat américain servit dans l’armée du Potomac pendant toute la durée de la Guerre Civile. Il gravira tout au long du conflit divers échelons, passant de caporal à colonel de son régiment à la fin du conflit. Les écrits de son journal de guerre sont repris largement dans le documentaire : La guerre de Sécession de Ken Burns.

 

 

 SHILOH veut dire « havre de paix » en hébreu.

La bataille ainsi appelée porte le nom d’une petite église autour de laquelle s’était positionné un camp de l’Union.

L’église de Shiloh’s church qui donna son nom à la bataille

La bataille eut lieu les 6 et 7 avril 1862 dans le Comté de Harding, dans le sud-ouest du Tennessee. Shiloh est considéré comme étant une bataille de première importance du théâtre occidental de la Guerre de Sécession.

CONTEXTE

Au début du mois d’avril 1862, plus à l’Est sur la péninsule, George Brinton McClellan attend toujours devant Yorktown.

Pendant ce temps, le général Ulysses S. Grant, fort de ses victoires à Fort Henry (le 6 février 1862) et à Fort Donelson (du 12 au 16 février 1862), a ouvert la vallée de la Tennessee aux forces de l’Union. Les Nordistes ont maintenant le contrôle du trafic fluvial jusqu’au-delà de la frontière de l’Alabama.

L’armée d’Ulysse S. Grant, forte de 42000 hommes, a pénétré profondément le cœur du territoire sudiste en longeant la rivière Tennessee et a positionné son camp à Pittsburg Landing sur la rive Ouest du fleuve. La percée de Grant dans le Tennessee a pratiquement coupé l’État en deux. Grant attend désormais l’arrivée de l’armée de l’Ohio, placée sous les ordres de Don Carlos Buell. Ensemble, ils doivent ensuite mener l’offensive au cœur du Mississippi.  

Mais Buell est en retard, et à Corinth, dans le Mississippi, à 35 km de là, Albert Johnston, commandant de l’armée confédérée, ne voit aucune raison d’attendre… Les forces en présence étant encore à peu près égales, il décide d’attaquer et de mettre un terme définitif à l’invasion yankee.

« Ce soir nos chevaux boiront l’eau du Tennessee » promet Albert Johnston aux officiers de son état-major, le 6 avril au petit matin.

Johnston veut porter l’assaut sur l’aile gauche des forces de Grant; son but est de séparer l’armée de l’Union du soutien de ses canonnières, et lui couper la retraite sur le fleuve Tennessee. Il a l’intention de l’acculer dans les marais de Snake Creek et de Owl Creek où, pense-t-il, il pourra la détruire.

LE GRAIN DE SABLE

L’attaque, initialement prévue pour le 4 avril à 3 heures du matin, est retardée de 48 heures en raison des mauvaises conditions climatiques. Ce délai inquiète Beauregard : il pense qu’il va perdre l’élément de surprise, et demande le repli vers Corinth ; mais Johnston refuse…

De plus, dans son plan initial, Johnston avait prévu une attaque sur trois colonnes ; mais Beauregard son adjoint a un tout autre plan. Il décide de donner l’assaut sur trois lignes…  Lorsque Johnston est prévenu de ce changement, il est trop tard pour modifier les dispositions.

LE TENNESSEE

« L’État des Volontaires »   

 

 

 

16ème État

Capitale : Nashville.

Date d’Entrée dans l’Union : 1er juin 1796.

La contrée était autrefois habitée par différentes tribus amérindiennes (à l’origine, ce sont les premiers autochtones ayant occupé le continent américain). On distingue plusieurs peuples comme les Chicachas, les Creeks et les Cherokees.

Au milieu du 16ème siècle, les Espagnols explorent le territoire. D’abord en 1540 avec le conquistador Hernando de Soto (né en 1496 ou 1497-mort en 1542), puis en 1673 avec les Français Louis Jolliet (1647-1700) et Jacques Marquette (1637-1675), qui descendent le fleuve Mississippi.

En 1673, suite au Traité de Paris, la région devient propriété de la couronne d’Angleterre.

Vers 1760, de nombreux pionniers viennent s’établir dans la vallée de l’Holston, de la Watauga et de la Nolichucky. Parmi les premiers, on cite le célèbre Daniel Boone (1734-1820), qui explorera et colonisera le futur Kentucky.

En 1769 est créée la première colonie permanente à Watauga.

En 1772 un district indépendant voit le jour : la « Watauga Association », qui sera annexée par la Caroline du Nord en 1776.

En 1779, la première ville de l’État, Jonesboro, est fondée par des Caroliniens du Nord.

Après la Guerre d’Indépendance, la partie occidentale du Tennessee est cédée par la Caroline du Nord au gouvernement des États-Unis. La partie orientale, où se situe un gouvernement indépendant, devient en 1784 l’« État de Franklin ».

En 1788, la contrée est à nouveau administrée par la Caroline du Nord, et devient « Territoire au sud de la rivière Ohio » (Territory South of the River Ohio), ou Territoire du Sud-Ouest.

Le 1er juin 1796, le Tennessee intègre l’Union et devient le 16ème État américain.

État esclavagiste, le Tennessee essaie tout d’abord d’éviter la Sécession, et sera un des derniers à rejoindre la Confédération des États du Sud.

Son territoire sera au cœur des combats, et d’importantes batailles auront lieu sur son sol, comme Fort Donelson (Février 1862), Chattanooga (novembre 1863), Franklin (novembre 1864), et Nashville (décembre 1864).

En mars 1866, le Tennessee sera le premier État confédéré à être réadmis au sein de l’Union.

En 1865, c’est au Tennessee que le Ku Klux Klan, société secrète sudiste, verra le jour.

FORCES EN PRÉSENCE

POUR LES FÉDÉRAUX

 

 

Armées de Grant et de Buell réunies : 66812 soldats.

Au début du mois d’avril, peu avant la bataille, l’armée de Grant cantonne sur la rive occidentale du fleuve Tennessee. Ses hommes sont éparpillés autour d’une petite église en bois appelée Shiloh. Les nouvelles recrues s’entrainent et exécutent des exercices dans l’attente de l’arrivée de Don Carlos Buel.

 

« C’était vraiment une superbe matinée, on se serait cru un dimanche matin à la campagne chez nous. Tous les camarades étaient éparpillés dans le camp, occupés à polir et à faire briller leur fusil, à nettoyer, à brosser leurs chaussures ou leurs vêtements et leurs pantalons en vue de l’inspection ».

Soldat Leanders Stillwell 

La Guerre de Sécession, Ken Burns.

 

 

Leanders Stillwell a 18 ans lorsque la Guerre Civile éclate. C’est l’exemple typique des milliers de jeunes hommes ayant répondu à l’appel de Lincoln dès le début du conflit. Ce garçon de ferme vivait dans une cabane en bois avec sa famille, dans le comté de Jersey, dans l’Illinois. En janvier 1862 (quelques mois après son 18ème anniversaire, et seulement après avoir avec son père, semé le blé, récolté le maïs et coupé le bois de chauffage pour l’hiver), se sentant un devoir « d’aider à sauver la nation » il se porte volontaire au le 61ème régiment d’infanterie de l’Illinois, compagnie D. Il se battra pendant trois ans et demi comme officier de rang sur le théâtre des opérations de l’Ouest, où il obtiendra, en septembre 1865, sa nomination de lieutenant. Il a participé à de nombreuses batailles, comme Shiloh (celle qui le marquera le plus en raison des horreurs vécues). Il sera présent au siège de Vicksburg, et prendra part à plusieurs escarmouches dans le Tennessee et l’Arkansas.

LES COMMANDANTS

L’armée de Grant est forte de 48 894 hommes, répartis en six divisions commandées par :

– Les major-généraux : John A. McClernand et Lew Wallace.

– Les brigadier-généraux : W. H. L. Wallace (remplaçant Charles Ferguson Smith blessé à la jambe), Stephen A. Hurlbut, William T. Sherman et Benjamin M. Prentiss.

La division et le camp de Lew Wallace sont situés à 8 km en amont (au nord), à Crump’s Landing, sur une position destinée à empêcher le déploiement des batteries confédérées et à bloquer la voie ferrée à Bethel Station. Le reste des troupes se trouve plus au sud, à Pittsburg Landing.

POUR LES CONFÉDÉRÉS

 

 

Johnston nomme sa nouvelle force « armée du Mississippi », et réunit ses 55 000 hommes autour de Corinth, à environ 30 km au sud de la position de Grant. Le 3 avril, 44 699 soldats quittent la ville pour surprendre Grant avant l’arrivée de Don Carlos Buell.

Armée d’Albert Sidney Johnston puis de Pierre Toutan Beauregard : 44699 soldats.

LES COMMANDANTS

Conseil de guerre des Confédérés

Les forces de Johnston se divisent en quatre grands corps commandés par :

– Le major-général Leonidas Polk, avec deux divisions commandées par le brigadier-général Charles Clark et le major-général Benjamin F. Cheatham.

– Le major-général Braxton Bragg, avec deux divisions conduites par les brigadier-généraux Daniel Ruggles et Jones M. Withers.

– Le major-général William J. Hardee, avec trois brigades dirigées par les brigadier-généraux Thomas C. Hindman, Patrick Cleburne et Sterling A. M. Wood.

– Le brigadier-général John C. Breckinridge, en réserve avec trois brigades, menées par les colonels Robert Trabue et Winfield S. Statham, et le brigadier-général John S. Bowen.

DÉROULEMENT DE LA BATAILLE

LE 6 AVRIL AU PETIT MATIN

Shiloh, matin du 6 avril

L’armée confédérée, commandée par les généraux Albert Sidney Johnston et Pierre Toutan Beauregard, se met directement en marche vers les lignes nordistes et attaque par surprise les camps de l’Union. En face, les soldats sont pour la plupart endormis dans leur tente, et nombreux sont ceux qui se rendent sans combattre. Alors que quelques-uns essaient de résister sur place, des milliers d’autres s’enfuient paniqués. La surprise, même si elle est totale, ne peut être convoitée à fond par les confédérés. Une partie d’entre eux, affamés, refluent vers l’arrière pour piller les cantonnements délaissés par les fuyards, pendant que d’autres maintiennent l’assaut initial…

Champ de bataille de Shiloh

L’une des divisions nordistes est commandée par William T. Sherman, sorti de la dépression qui l’avait tenu confiné chez lui et éloigné du conflit l’année précédente. Ses volontaires de l’Ohio ont dressé leur camp sur une colline non loin d’une petite église méthodiste baptisée Shiloh. C’est à cet endroit que les sudistes attaquent…

Un soldat témoigne de l’attaque confédérée : « J‘ai vu des hommes vêtus de gris et de brun déferler dans le camp, et j’ai également vu autre chose, une chose que je n’avais jamais vue auparavant, un morceau de toile aux couleurs éclatantes bordé de bandes rouges ; le drapeau rebelle ».

La Guerre de Sécession, Ken Burns.


La bataille se déroule sur un front de près de 5kms. C’est au centre que les affrontements les plus acharnés font rage. Les rebelles attaquent sans relâche « tels des démons », dira un jeune soldat yankee.

« Nous les submergions. Encore une charge et leurs lignes cédèrent, ils battaient en retraite dans la plus totale confusion. Nous exultions, leurs officiers ne parvenaient pas à les remettre en lignes »

« Je visais toujours les simples soldats. C’était eux qui tiraient et qui tuaient. A chaque simple soldat que je parvenais à tuer ou à blesser, j’améliorais mes chances de survie. J’ai toujours considéré les officiers comme des personnages inoffensifs ». Sam Watkins – La Guerre de Sécession, Ken Burns.


 

Samuel « Sam » Rush Watkins (né le 26 juin 1839, mort le 20 juillet 1901) était un soldat Confédéré durant la guerre de sécession. Il est connu de nos jours pour ses mémoires publiées sous le titre de « Company Aytch : Or, a Side Show of the Big Show ». Il y décrit son expérience durant la guerre civile. Ces écrits sont considérés comme parmi les meilleurs témoignages existants de la vie du simple soldat pendant le conflit.

 

 

Charge confédérée dans le verger de pêchers Orchard tableau de John Paul Souche

 

Dans un verger de pêchers, des soldats fédéraux sont allongés sous les arbres en fleurs tirant sans répit sur des rebelles qui déboulent sous une pluie de pétales qui recouvre indifféremment les vivants et les morts.

Témoignage cité par Shelby Foote 

La guerre de Sécession de Ken Burns.

Le verger de pêchers

 

Les troupes de l’Union sont dans une situation difficile, mais tiennent encore sur une ligne étroite au centre du champ de bataille. Essentiellement constituées de fils de fermiers de l’Illinois et de l’Iowa, elles s’accrochent. Leur commandant, Benjamin M. Prentiss, est parfaitement conscient de la gravité de l’ordre que lui a donné Grant : celui de tenir la position à tous prix.

Vers 9 heures, les hommes de Benjamin M. Prentiss et de W. H. L. Wallace sont contraints à reculer d’un kilomètre. Ils établissent une nouvelle ligne de défense en se positionnant le long d’une petite route de campagne, un chemin creux situé entre une prairie et un bois.

Cette nouvelle position, appelée depuis lors « Hornet’s Nest » (le guêpier ou le nid de frelons) par les Confédérés, restera célèbre par l’âpreté des combats enragés qui vont s’y dérouler durant huit

Champ de bataille de Shiloh

heures. A cet endroit, Johnston lancera plusieurs assauts tous aussi meurtriers les uns que les autres, en subissant d’énormes pertes (aux dires d’historiens, il y aurait eu entre 8 et 14 charges sudistes). 

A la fin de la matinée, des milliers de jeunes recrues de l’Union ont « pris leurs jambes à leur cou » ; la plupart ne s’arrêteront pas avant d’avoir atteint le fleuve, où près de 5000 hommes sont immobilisés sur la berge. Grant se retrouve le dos au fleuve sans le moindre signe de Buell et sans retraite possible.

 

« Nous sommes en train de les balayer ! fait remarquer le général Johnston à son second, le général Beauregard. Nous devrions les acculer au fleuve. »

 

Sous la pression furieuse des confédérés, les forces nordistes de part et d’autre du « Hornet’s Nest » sont enfoncées. La position tenue par Benjamin M. Prentiss prend alors la forme d’un saillant dans la ligne de l’Union. Le général Albert Johnston mène lui-même la dernière charge…

« Quand il est revenu, son uniforme était déchiré un peu partout et la semelle de l’une de ses bottes était fendue en deux.

Champ de bataille de Shiloh plaque commémorative de la mort de Albert Sidney Johnston

Sans descendre de cheval il s’est esclaffé : ce n’est pas encore cette fois qu’ils me mettront à terre ». Et puis il s’est mis à vaciller sur sa selle ; et les gens autour de lui ont compris qu’il avait été touché. « Vous êtes blessé mon général ? » a demandé quelqu’un.  Il a répondu : « oui et je crois que c’est grave ». Il avait pris une balle derrière le genou qui lui avait probablement sectionné l’artère fémorale. Il s’est vidé de son sang ; il coulait le long de sa botte. Johnston aurait pu être sauvé avec un garrot, mais il avait envoyé son médecin s’occuper des prisonniers nordistes. Un peu plus loin nous aperçûmes le général Albert Johnston entouré de son état-major. Il régnait une certaine agitation autour de lui. Nous ne savions pas alors qu’il était mort. La nouvelle ne fut pas communiquée aux troupes ».

Sam Watkins 

La Guerre de Sécession, Ken Burns.

 

Il est 14h30 lorsque Albert Sidney Johnston décède d’une hémorragie. Pierre Toutan Beauregard prend alors le commandement de l’armée du Mississippi.

Jefferson Davis dira d’Albert Sydney Johnston : « le plus solide pilier du Sud vient de s’effondrer ».

Ce fut une perte importante pour la Confédération. En effet, le Président Jefferson Davis estimait le général Albert Sidney Johnston, il le considérait comme son meilleur général. Albert Johnston sera, avec Thomas Jackson, l’un des officiers les plus hauts gradés à mourir au champ d’honneur pendant la Guerre Civile. Deux mois plus tard, un officier de Virginie, du nom de Robert E. Lee, émergera parmi les plus talentueux chefs des forces confédérées. Commandant en chef des armées du Sud, il le restera jusqu’à la fin du conflit.

Carte de la bataille de Shiloh, après-midi du 6 avril 1862.

LA POUSSÉE CONFÉDÉRÉE

Pendant ce temps, les forces de l’Union qui tiennent encore le centre refusent toujours de céder. Les sudistes installent 62 canons à courte portée face au « guêpier », et ouvrent le feu à quelques mètres de distance des positions yankees. Le « guêpier » cède après sept heures de combats acharnés. La position nordiste finit par éclater en un déluge d’esquilles de bois et de débris humains.

A 17h30, Prentiss et les 2200 survivants de sa division capitulent. Ils ont réussi à immobiliser l’avancée des Confédérés pendant près de huit heures ; la nuit commence à tomber.

AU SOIR DU 6 AVRIL

Au soir de la 1ère journée de la bataille, les sudistes sont incontestablement victorieux. Le général Beauregard adresse un télégramme à Jefferson Davis, dans lequel il assure avoir remporté une victoire totale. « J’ai repoussé le Général Grant exactement là où je voulais qu’il soit », dit-il, « je pourrais lui donner le coup de grâce demain matin. »

Néanmoins, leur résistance permet à Grant d’organiser ses arrières en fortifiant sa dernière ligne de défense près de Pittsburg Landing.

Le champ de bataille est jonché de soldats agonisants. Aucune des deux armées ne s’est encore dotée d’un service d’aide et de secours aux blessés. Des dizaines de victimes sont venues mourir tout près du verger, sur les bords d’une mare boueuse dont ils voulaient boire l’eau, et qui est devenue rouge de sang. La pluie commence à tomber, et à la lueur des éclairs on aperçoit quelques porcs venus se repaître des cadavres.

Les Confédérés sont à court de munitions et, vers 18 heures, la fusillade s’atténue sur l’ensemble du front. Les Sudistes abandonnent l’idée d’un assaut de nuit qui aurait peut-être pu leur assurer la victoire.   

Champ de bataille de Shiloh

Un soldat raconte : « Certains demandaient à boire, d’autres appelaient à l’aide. J’entends encore ces malheureux qui réclamaient de l’eau. Dieu dut les entendre car les cieux s’entrouvrirent et la pluie arriva. »

La Guerre de Sécession, Ken Burns.

Grant préfère s’éloigner de cette scène macabre, et passe la nuit sous un arbre plutôt que d’entendre, dans le camp, les râles des blessés. 

C’est là que Sherman vient le rejoindre : – Et bien mon cher Grant ! lui dit-il, nous avons passé une journée en enfer je crois ! – Oui ! lui répond Grant, mais demain ce sont eux qui vont souffrir.

L’ESPOIR CHANGE DE CAMP

L’armée de Buell arrive enfin pendant la nuit. C’est avec un grand soulagement que Grant voit arriver les renforts avec l’appui de deux canonnières, le Lexington et le Tyler. Il dispose dorénavant de 18 000 hommes frais qui pourront reprendre le combat le lendemain.

Un soldat nordiste raconte : « Jamais la vue de renforts ne m’a parue aussi réconfortante qu’en ce dimanche soir lorsque l’avant-garde des forces de Buell s’est déployée sur les berges de Pittsburg Landing ».

La Guerre de Sécession, Ken Burns

LE 7 AVRIL A L’AUBE

Carte de la bataille de Shiloh, 7 avril 1862.

Désormais forte de presque 70 000 hommes, l’armée de l’Union attaque à l’aube les 30 000 Confédérés de Beauregard.

Les Sudistes reculent, contre attaquent, reculent de nouveau, amorcent finalement un repli, puis se retirent. Les soldats de l’Union, en surnombre, sont les maîtres du champ de bataille.

TEL UN DÉMON TOUT GRIS !

La retraite des Confédérés est couverte par Nathan Bedford Forrest, qui décide de lancer une dernière charge de cavalerie contre les poursuivants yankees. 

Un témoin raconte : « Il est allé directement là où se trouvait le gros des troupes nordistes, il se retrouvait entouré d’ennemis ; un uniforme gris dans une mer bleue. On criait autour de lui : « tuez-le, tuez-le ce maudit rebelle, jetez-le à terre ». Un soldat a réussi à lui planter le canon de son fusil dans les côtes et à appuyer sur la gâchette. Forrest a fait un bond au-dessus de sa selle sous l’impact sans cesser de donner des coups de sabre. Son cheval ruait et tournait dans tous les sens. Forrest a réussi à se dégager de la mêlée et il est parti au galop sous les balles nordistes. Au passage il a attrapé un soldat de l’Union et l’a pris en croupe pour s’en servir de bouclier. Une fois hors de portée, il l’a jeté à terre, l’a abattu, et est reparti au galop rejoindre ses hommes. Ce fut le dernier coup de feu tiré de la bataille de Shiloh. » 

Nathan Bedford Forrest

 

La Guerre de Sécession, Ken Burns

Ulysses S. Grant raconte : « Le sol était jonché de cadavres, au point qu’il aurait été possible de traverser toute la prairie, en marchant sur les corps sans jamais poser le pied parterre ».

Ulysses S. Grant

La Guerre de Sécession, Ken Burns

 

 

 

PERTES

La bataille de Shiloh fut l’une des plus sanglantes de l’Histoire américaine. Dans les deux camps on était horrifié par le « massacre ». Nul ne pouvait se douter alors que la guerre allait durer encore trois longues années. Shiloh a fait autant de victimes que la bataille de Waterloo, et une vingtaine de Waterloo allait suivre. Le carnage ne faisait que commencer…

POUR LE NORD

Sur les 66 812 hommes de son armée, les pertes de l’Union s’élevèrent à 13 047 victimes.

Tués : 1754.

Blessés : 8408.

Disparus : 2885.

POUR LE SUD

Sur les 44 699 hommes de son armée, les pertes confédérées s’élevèrent à 10 699 victimes.

Tués : 1728.

Blessés : 8012.

Disparus : 959.

Les femmes du Sud. Témoignage de Kate Cumming, restée seule pour s’occuper des blessés : Le 12 avril 1862, Corinth, Mississippi.

« Les hommes sont allongés dans toute la maison, à même le plancher, là où on les a déposés en les ramenant du champ de bataille. Ils sont entassés dans les petites pièces, le hall, et le long de la galerie. Tout d’abord, l’air vicié par cette masse humaine m’a donné des nausées et le vertige, mais cela a passé. Nous piétinons dans le sang et l’eau, et, pour nous occuper des blessés, nous devons nous agenouiller dedans, mais nous n’y faisons guère attention. Certains blessés ont souffert horriblement toute la nuit ; un homme âgé n’a cessé de gémir. Il a une soixantaine d’années et a perdu une jambe. Il habite aux environs de Corinth, et, le matin de la bataille était venu en ville pour voir ses deux fils qui sont soldats. Quand le combat commença, il ne put s’empêcher de mettre le fusil à l’épaule et d’y aller. Je l’ai réconforté de mon mieux. Il est très croyant et a prié presque toute la nuit. »

Extrait de « Il y a toujours un reporter ». (« La guerre de Sécession », de Victor Austin, paru aux éditions René Julliard.)


CONSÉQUENCES

Dans le Nord, après la bataille, les journaux accuseront Grant de négligence, et le culpabiliseront pour sa conduite du 6 avril à Pittsburg Landing. La plupart des journalistes, absents sur le champ de bataille, affirmeront qu’il était ivre, le rendant ainsi responsable de la mort de nombreux soldats surpris au petit matin dans leur sommeil. On lui reprochera son manque de préparatifs défensifs. Pour ses adversaires, et ils sont nombreux, Grant n’aurait jamais dû se laisser surprendre. Sa réputation sera ternie, et beaucoup attribueront la victoire à Buell.

A Washington, les plaintes à son sujet demandant sa destitution seront légions. A tous ses détracteurs, le président Lincoln répondra : « je ne peux le renvoyer, cet homme se bat ». Sherman deviendra le héros de la bataille de Shiloh. Grant sera par la suite réhabilité, et son rôle dans la bataille reconnu essentiel.

Mais la guerre ne fait que commencer, et par la suite Grant deviendra un rouage indispensable de la victoire finale.

Pour les Sudistes, la défaite de Shiloh anéantira tout espoir de récupérer le Tennessee. Elle marque le début de la conquête irrémédiable de la vallée du Mississippi par les armées du Nord.

Dans les mois qui suivront, les forces de l’Union, avec à leur tête Henry W. Halleck, avanceront inexorablement vers Corinth, qui tombera le 10 juin 1862. En même temps, la flotte fluviale nordiste, progressant lentement sur le Mississippi, détruira la marine de guerre confédérée à Memphis. Puis, le 24 avril, l’amiral David Farragut (1801-1870), à la tête de ses canonnières, s’emparera sans résistance de la Nouvelle Orléans.

L’année suivante, Grant, qui a retrouvé son commandement, continuera son avancée le long du Mississippi, et assiègera Vicksburg. Après la reddition de la ville et la chute de Port Hudson à l’été 1863, le Mississippi passera sous le contrôle de l’Union ; la Confédération sera alors définitivement coupée en deux…

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5 réponses

  1. 4 juin 2022

    […] 2005 à Memphis, Tennessee. L’auteur est assez méconnu en France. A travers son œuvre majeure, Shiloh, il décrit la Guerre de Sécession en 200 pages, en redonnant la parole à de simples soldats et […]

  2. 29 juin 2022

    […] Shiloh veut dire « havre de paix » en hébreu. […]

  3. 6 juillet 2022

    […] 2005 à Memphis, Tennessee. L’auteur est assez méconnu en France. A travers son œuvre majeure, Shiloh, il décrit la Guerre de Sécession en 200 pages, en redonnant la parole à de simples soldats et […]

  4. 10 juillet 2022

    […] les 6 et 7 avril: bataille de Shiloh, Comté de Hardin, dans le […]

  5. 12 mars 2023

    […] à Memphis, Tennessee. L’auteur est assez méconnu en France. A travers son œuvre majeure, « Shiloh », il décrit la Guerre de Sécession en 200 pages, en redonnant la parole à de simples soldats et […]

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