Bécassine et l’effort de guerre

Naissance

Bécassine naît en 1905 sous la plume de Jacqueline Rivière, rédactrice en chef de l’hebdomadaire « La Semaine de Suzette », et le crayon de Joseph Pinchon. Bécassine est une héroïne de hasard : elle est née à cause d’un rhume, et dans un premier temps, c’est presque toute la Bretagne qui va la prendre en grippe. Beaucoup de nationalistes et de militants du Grand Ouest ne vont pas se reconnaître et se sentiront blessés par l’image de la petite lourdaude.

A la veille de faire paraître le premier numéro de la nouvelle revue pour fillettes, la rédactrice, Jacqueline Rivière, s’aperçoit qu’une page demeure blanche. L’auteur prévu est au lit, atteint d’un rhume. Dans l’urgence, elle improvise une petite histoire en prenant pour modèle les bêtises récurrentes faites par sa propre servante. Rapidement, son dessinateur et illustrateur Joseph Pinchon, esquisse les traits de la jeune soubrette : Bécassine vient de naître. La petite bonne va égayer et enjoliver les pages de La semaine de Suzette, jusqu’à en devenir indissociable.

La Semaine de Suzette est une revue adressée à un public de jeunes filles.Publiée par les Editions Gauthier-Languereau le 2 février 1905, c’est grâce à son personnage de Bécassine qu’elle deviendra célèbre. Elle paraîtra de façon hebdomadaire jusqu’à son 144ème et dernier numéro le 25 août 1960.

 

Tout de suite la petite servante bretonne rencontre un vif succès. Si bien qu’elle prend une place de plus en plus importante dans le journal, et ses aventures seront suivies par toute une génération d’adolescentes. Le public est friand de ses bévues irritantes qui déconcertent sa patronne, la marquise de Grand Air.

Dès 1913, les lectrices découvrent son nom de baptême : Annaïck Labornez.


La guerre 1914-1918

Bien entendu, l’incorrigible naïve est recrutée par le service aux armées pour combattre le boche. La propagande, soucieuse de mobiliser toutes les âmes vives de la nation pour concentrer l’effort de guerre, s’empare du personnage de la petite bretonne. Le conflit évolue et entraîne un grand nombre de changements dans la vie sociale, ce qui n’échappe pas aux petites lectrices de La Semaine de Suzette ; très vite, la rédaction en tient compte. C’est pour cette raison que les quatre premiers albums de Caumery et Pinchon traitent de la Grande Guerre en particulier. Certes, les sujets sont abordés avec plaisanterie, les aventures sont comiques, et les horreurs de la guerre ne sont pas spécialement exposées : la censure veille et le public est jeune. Néanmoins, Bécassine chasse le boche exécré, et lui fait subir des  entourloupettes toutes aussi cocasses les unes que les autres. Au travers de ses exploits, on perçoit cependant les peurs, les angoisses, et les difficultés quotidiennes que vivent les civils durant cette guerre. Notre héroïne se transforme tour à tour en infirmière, conductrice de tramway, secrétaire ou espionne, et ne manque jamais l’occasion de ridiculiser l’ennemi qu’elle casse à souhait. Elle fait de la propagande, de la photo aérienne, et part même pour la Turquie lointaine lorsque celle-ci ouvre un nouveau front contre les Alliés. Bécassine devient en quelque sorte le symbole de l’émancipation de la femme, dans une période troublée où les codes sont en train de changer.

Toutes les conséquences néfastes de la guerre sur la vie quotidienne des civils sont dépeintes : l’espionnage, les bombardements aériens, les restrictions et les exodes, par exemple, sont présents. Cependant, en exploitant les sottises de Bécassine, tous ces événements ne prennent jamais une fin dramatique et demeurent le plus souvent dans un contexte comique.

Dès le 3 février 1916, de nouvelles histoires de la petite niaise apparaissent dans « La Semaine de Suzette », et cette fois-ci, elles auront pour cadre le théâtre de La Grande Guerre.

Annaïck Labornez, un exemple !

Actualité oblige, Bécassine se met alors au service des blessés et devient auxiliaire de la Croix Rouge. La revue s’adressant à un public candide, c’est toute une génération de fillettes qui va espérer, un jour, prendre sa place. La domestique de la marquise de Grand-Air ménagera la sensibilité de ses jeunes lectrices, elle se gardera bien de décrire les atrocités de la guerre. Les auteurs sont prévenants ; bien qu’ayant supporté les horreurs du conflit, ils essaieront de faire ressortir la fibre patriotique avant tout. Et de toute évidence, lorsque Bécassine se prendra d’amitié pour un soldat blessé, celui-ci ne sera atteint que d’un vulgaire rhume, contracté en premières lignes sur le front.

Bertrand, le neveu de madame, est mobilisé. La très snob marquise de Grand-Air s’inquiète de le voir partir à la guerre. Bécassine, après avoir cherché dans l’Atlas où se situait la Bochie, essaie de la rassurer : « Faut pas que Madame se fasse du mauvais sang comme ça. Possible qu’y aura la guerre, mais comme c’est avec des gens qui n’existent pas, ça ne présente guère de risques. »

Bien entendu, le patriotisme est omniprésent ; les parutions s’effectuant en plein conflit, il faut canaliser toutes les couches sensibles de la population vers l’effort de guerre. Ainsi Bécassine n’hésite pas à se rendre en Alsace, dans la zone des combats, petit bout de territoire libéré par l’armée française en 1914-1915.


On a du mal à s’imaginer un tel paradoxe. De pareilles aventures on été créées pendant la Grande Guerre ; ça fait cent ans… Bien entendu, les aventures de la petite bretonne auraient du mal à faire rire les adolescentes du 21ème siècle. Les temps ont changé, et les priorités de nos jeunes gravitent aux antipodes des préoccupations de Bécassine. Mais lorsque l’on se transpose dans l’époque, on est surpris par l’insouciance des gens que nous dépeignent les albums de Joseph Pinchon. On découvre une population qui continue à travailler, à faire du commerce, à se rendre aux champs, à manger, à boire, comme si les événements aux frontières n’altéraient en rien leur quotidien. Alors que la réalité en temps de guerre est tout autre : les nations sont paralysées, bien souvent affamées, la production est stoppée, les gens se terrent dans des abris au gré des alertes. Est-ce du bluff ? Ou bien est-ce volontaire ? N’oublions pas que ces dessins ont été destinés à un public de jeunes ; qu’ils aient été aussi propagandistes relève d’une volonté et certainement d’un bourrage de crâne déterminé. Étonnant !

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1 réponse

  1. 11 juin 2014

    […] bourgeoisie bien pensante, qui trouve davantage son plaisir dans les aventures invraisemblables de Bécassine. Les Pieds Nickelés, c’est avant tout le système D (comme débrouillardise), et magouille (avec […]

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